Chapitre 6 - Parangon

Prenez le temps de vous installer confortablement ☁️, préparez-vous une boisson réconfortante ☕et laissez-vous transporter. Pour une immersion totale, et lancez l'album Ordalie, spécialement conçu pour accompagner votre lecture.

Vous êtes prêt(e) ? Plongez dans les premières pages d’Ordalie Origine – Tome 1, et laissez la magie opérer. ✨

Bonne lecture, et n’hésitez pas à partager vos impressions ! 👇🏻

Chapitre VI

Parangon

Le Seigneur frappa violemment du poing sur son trône, ses traits déformés par la fureur à la nouvelle qu’il venait d’apprendre.

« C’est une abomination ! Une telle doléance, en des temps aussi sombres que ceux-ci, est une insulte à mon autorité ! Je vous exhorte à régler vos querelles de basse-cour par vous-mêmes, avant que je ne vous fasse rôtir comme les volailles que vous êtes ! » tonna-t-il d’une voix grondante.

Le Seigneur d’Épine n’était pas un homme patient. Bien des traits de caractère lui étaient prêtés, mais la plupart étaient loin d’être flatteurs. Parmi eux, sa colère légendaire se distinguait. C’était un homme impitoyable, qui ne connaissait ni la peur, ni la pitié, et encore moins la diplomatie. Son tempérament colérique et tyrannique était d’autant plus exacerbé qu’il jouissait d’une impunité quasi totale. En tant que neveu du roi, il se sentait invulnérable, persuadé que personne n’oserait s’opposer à lui, pas même son oncle. Le roi lui-même lui pardonnait ses excès, le gratifiant de nombreuses faveurs, ce qui n’avait fait qu’envenimer son ego et son mépris pour autrui.

« Qu’on m’amène la prochaine doléance avant que je ne meure d’ennui, par tous les dieux ! » rugit-il à l’adresse de son chambellan, sans cacher son impatience croissante.

Le chambellan, habitué aux sautes d’humeur de son maître, s’approcha discrètement et murmura :

« Seigneur d’Épine, il vous reste à recevoir un émissaire de la cour du roi, ainsi qu’un représentant de l’Ordre. »

Un rictus de dégoût se dessina sur les lèvres grasses du Seigneur, tandis qu’il balayait la salle du regard, observant sa cour avec un air de mépris.

« Vais-je donc pourrir sur ce trône, à écouter les jérémiades de ces incapables, jusqu’à en perdre ma raison ? » siffla-t-il entre ses dents serrées.

Le chambellan, résigné, fit un geste de la main, invitant l’émissaire à s’avancer. Mais avant que ce dernier ne puisse dire un mot, le Seigneur d’Épine, dans un murmure sifflant, ajouta à l’intention de son serviteur :

« Je n’ai que faire de ces paladins et autres faquins de l’Ordre. Dites-leur d’aller se faire foutre et que je ne suis pas disposé à recevoir leurs sornettes ! »

L’émissaire du roi s’avança timidement au milieu de la salle, conscient de la tension palpable qui régnait dans l’air. Il effectua la révérence protocolaire, puis, d’une main légèrement tremblante, sortit un parchemin de sa besace. Avant de commencer à lire, il se racla la gorge nerveusement.

« Par la grâce du Haut Roi de Solari, Sa Majesté Sigmund Dar’t III, souverain des hommes et dirigeant suprême du continent de Rythe… »

Mais il fut brusquement interrompu par le Seigneur d’Épine, qui bondit de son trône, ses yeux brûlant d’irritation.

« Blablabla… Tonnerre de tous les dieux ! Tout ça n’est que bavardage ennuyeux ! Je connais parfaitement mon oncle. Va droit au but, ou je te fais fouetter jusqu’à ce que tu en perdes la langue, ou pire encore, je te jette en pâture à mes chiens ! » hurla-t-il, en serrant les poings.

Le Seigneur d’Épine, en dépit de sa quarantaine, avait l’air d’un homme bien plus âgé. Son visage bouffi, marqué par des années de festins indécents et d’excès en tout genre, trahissait une vie de débauche. Sa peau était huileuse, constellée de rougeurs et de cicatrices, témoins d’un appétit vorace pour la nourriture aussi bien que pour la violence. Ses joues pendantes et son cou gras lui donnaient l’apparence d’un homme constamment en sueur, engoncé dans des vêtements trop serrés pour son corps enflé. Son regard perçant et cruel ne laissait aucune place à l’humanité. Chacun de ses mouvements trahissait une brutalité latente, prête à exploser à la moindre contrariété. C’était un homme détestable, tant par son apparence que par son caractère.

L’émissaire, terrifié par l’éruption soudaine du Seigneur, fit un pas en arrière, ses mains tremblant légèrement sous le poids du parchemin royal. Il tenta de reprendre ses esprits, mais les paroles de menace résonnaient encore dans son esprit, le paralysant presque.

« Le roi est malade, votre seigneurie. Il vous convoque, vous ainsi que l’ensemble des membres de sa famille et de sa cour, pour l’accompagner dans ces heures difficiles. » annonça l’émissaire d’une voix tremblante, pesant chacun de ses mots.

Le Seigneur d’Épine répondit avec un mépris affiché, crachant ostensiblement devant l’émissaire, un geste aussi grossier qu’outrageant.

« J’emmerde la cour et ses protocoles ! Si mon oncle doit crever, qu’il le fasse sans ma royale présence. Le trône reviendra à ce bâtard de fils qu’il cache à peine. Que diable pourrais-je bien faire dans un endroit aussi morne et hypocrite ? » tonna-t-il, en croisant les bras avec une arrogance évidente.

L’émissaire, décontenancé par cette réaction, jeta un regard paniqué au chambellan, espérant y trouver un soutien. Néanmoins, dans un élan de courage, il tenta à nouveau de s’exprimer, sa voix vacillant sous la pression :

« Le roi souhaite que sa famille l’entoure dans ses derniers instants, mon seigneur… » répéta-t-il avec une humilité forcée, avant de se mettre à genoux, le front courbé en signe de soumission totale.

Le chambellan s’approcha alors du Seigneur d’Épine et se pencha à son oreille, chuchotant quelques mots tandis que ce dernier se versait une chope d’hydromel, sous le regard silencieux de sa cour. Une centaine de convives étaient présents dans la grande salle, mais pas un seul n’osait prononcer un mot face à l’explosion de colère de leur seigneur. Ils retenaient leur souffle, attentifs à la moindre de ses réactions.

Soudain, dans un accès de rage brutale, le Seigneur d’Épine se leva et jeta violemment sa chope en fer sur le sol, avec tant de force que celle-ci rebondit et frappa l’émissaire au torse. Le bruit métallique résonna dans toute la salle.

« Taisez-vous ! » hurla-t-il, sa voix résonnant avec une intensité terrifiante. « Vos voix me torturent, elles ne sont que des bavardages inutiles ! Je ne supporte plus vos jérémiades interminables ! » Dit il à l’attention de murmure de son chambellan

Il se laissa retomber lourdement sur son trône, ses yeux brûlant de mépris, puis leva le bras d’un geste las, ordonnant à ses gardes de se débarrasser de l’émissaire. Un soldat s’approcha alors, son regard dur et menaçant, tandis qu’il pointait sa lance vers le messager, qui recula, effrayé.

« Mon seigneur... » implora l’émissaire, sa voix brisée par la terreur. « Je ne suis que le porteur des volontés du roi. Je suis protégé par le sceau de la guilde des émissaires. Personne ne peut m’ôter la vie sans subir la colère des lois royales ! »

Le Seigneur d’Épine éclata de rire, un rire gras et moqueur, résonnant dans la grande salle. Il se pencha légèrement en avant, son ventre lourd comprimé par ses habits trop serrés.

« Ton sceau ? » ricana-t-il. « Crois-tu vraiment que ce bout de papier pourra te protéger ici, sur MES terres ? Mon chambellan enverra un pigeon, annonçant que l’on a retrouvé ton corps sans vie sur les routes de mon royaume. Ce sera l’occasion de demander davantage de renforts de la part de la cour pour sécuriser mes domaines. Ce pauvre idiot de roi pourra bien faire ça avant de rendre son dernier souffle. »

Le soldat, obéissant à l’ordre implicite, redressa sa lance, la pointe dirigée vers la gorge de l’émissaire. Il tourna la tête vers le Seigneur d’Épine, cherchant une confirmation.

« Dois-je l’exécuter maintenant, mon seigneur ? » demanda-t-il d’une voix résolue, prêt à accomplir l’ordre.

C’est alors qu’une voix s’éleva au milieu de la foule, douce et calme, mais empreinte d’une autorité indiscutable. Une voix sereine qui, comme une brise légère, apaisa immédiatement l’atmosphère tendue de la salle. Pour les convives, cette voix avait quelque chose de presque surnaturel, tant elle contrastait avec la brutalité ambiante.

« Personne ne sera exécuté tant que je serai présent. »

Tous les regards se tournèrent vers l’origine de la voix, intrigués par cette intervention inattendue. Dans une salle où la peur et la violence régnaient en maîtres, cette voix semblait être un contrepoint, un rappel d’une autre forme d’autorité, plus subtile, mais tout aussi puissante. Le Seigneur d’Épine fronça les sourcils, visiblement agacé par cette intrusion.

Une silhouette imposante émergea lentement de la foule, attirant immédiatement tous les regards. L’homme portait une armure de plaques noires, d’une noirceur presque abyssale, mais d’une élégance frappante, chaque pièce finement travaillée. Des motifs complexes étaient gravés sur chaque surface métallique, dessinant des arabesques d’or et des symboles mystérieux qui semblaient danser sous la lumière tamisée de la salle. Les inscriptions dorées se mêlaient aux runes antiques qui ornaient les bords de l’armure, leur éclat capturant des reflets cuivrés, presque surnaturels. Chaque détail de l’armure semblait avoir été conçu avec un soin minutieux, comme si elle était autant une œuvre d’art qu’une protection en temps de guerre.

Une cape épaisse et majestueuse tombait lourdement de ses épaules, ses bords brodés de runes anciennes, chacune porteuse de significations mystiques oubliées depuis des siècles. La cape, noire comme la nuit la plus profonde, était soulignée de fils dorés qui semblaient pulser faiblement, comme animés d’une énergie silencieuse. Sur ses épaules, des épaulières massives et angulaires renforçaient son apparence de force et d’invulnérabilité, recouvrant la majeure partie de son buste, donnant l’impression qu’aucune lame ni flèche ne pourrait les transpercer.

Une capuche noire, bordée d’or, recouvrait la tête de l’homme, cachant une grande partie de son visage et de son casque. Le casque, finement orné de gravures similaires à celles de l’armure, laissait juste entrevoir l’ombre de son regard, un vide noir derrière les fentes du heaume qui renforçait l’aura mystérieuse de ce guerrier. La capuche et le casque, pourtant lourds, semblaient se mouvoir avec légèreté, épousant les mouvements fluides et silencieux de l’homme.

Dans son dos, on distinguait le pommeau d’une épée d’une majesté rare, dépassant légèrement de l’ombre de sa cape. Le pommeau, forgé dans un métal sombre, était gravé de symboles anciens et cerclé d’or, offrant un contraste saisissant avec le reste de l’arme. L’épée elle-même paraissait être plus qu’un simple outil de guerre, elle dégageait une certaine autorité, presque une présence propre, comme si elle portait en elle une histoire ancienne et oubliée, une puissance cachée. La garde, ornée de runes semblables à celles de son armure, semblait prête à canaliser une énergie obscure à tout moment.

Le seigneur d’Epine, visiblement agacé, serra les poings, mais n’osa pas répliquer de manière trop véhémente. La présence de l’homme en armure, bien que dérangeante, semblait imposer un respect malgré tout.

« Je pense que l’émissaire a accompli sa mission et peut repartir sans mal, n’est-ce pas, Seigneur d’Epine ? » répliqua calmement l’homme en armure, sa voix résonnant comme une lame frôlant la pierre.

Le seigneur trépignait de rage, ses lèvres se tordant en une grimace de mépris.

« Bien qu’il en soit ainsi, personne ne pourra dire que je manque de clémence ! » lança-t-il d’une voix basse et rauque à l’intention de son chambellan, bouillonnant de frustration. Puis, se tournant vers son serviteur, il lui murmura avec colère :

« Ne t’avais-je pas ordonné de faire partir cette puanteur de l’Ordre ? Un fichu parangon dans mon domaine ! Comment as-tu osé me trahir de la sorte ? »

Le chambellan, visiblement mal à l’aise, s’inclina profondément, bafouillant des excuses que le seigneur balaya d’un revers de la main, avant de se redresser, le regard brûlant.

« Je t’en prie, Parangon, retire ton casque afin que nous sachions à qui nous avons l’honneur de parler. »

Les gestes de l’homme en armure étaient mesurés, presque rituels. Il abaissa lentement sa capuche noire et dorée, révélant un heaume finement travaillé. D’un geste sûr, il le retira, laissant apparaître un visage marqué par la gravité du devoir, encadré par des cheveux sombres. Ses yeux émeraude brillaient d’une lumière intense, une lueur de détermination immuable.

Le silence qui suivit sa révélation fut presque palpable.

« Par tous les dieux ! s’exclama le Seigneur d’Epine. Nous avons l’honneur d’accueillir le dernier Parangon en date ! Quel honneur et quelle surprise ! »

La surprise était feinte, mais le mépris qu’il dissimulait mal transparaissait dans ses mots.

« Il est rare de voir des représentants de l’Ordre dans mon royaume, vous le savez. Vous connaissez ma position sur cette guerre ! Aucun de mes hommes ne mettra le pied sur un champ de bataille. Cela, je le jure devant mes ancêtres ! »

Edhe, le parangon, s’avança d’un pas léger, sa démarche fluide trahissant des années d’entraînement. Chaque geste était maîtrisé, calculé, sans le moindre signe d’hésitation.

« Je ne suis point ici pour réclamer vos troupes, Seigneur d’Epine. »

« Alors parle ! Pourquoi te tiens-tu ici, devant moi ? » s’impatienta le seigneur.

D’un geste rapide, Edhe tira un parchemin de derrière sa cape. Le seigneur roula des yeux, exaspéré.

« Par tous les dieux, cessez avec ces parchemins ! »

Le parangon eut un sourire en coin, une esquisse à peine visible qui passa rapidement.

« Vous avez raison. Les protocoles sont peut-être superflus en des lieux aussi reculés que les vôtres. »

Le ton était subtil, mais les paroles avaient la clarté d’un affront. Le seigneur se tendit, son visage virant à l’écarlate.

« Comment osez-vous ? Pensez-vous que votre rang vous protège de tout châtiment ? »

Edhe releva la tête, son regard émeraude brillant de défi.

« Nullement, Seigneur. Je vous prie d’excuser mon impertinence. Puis-je maintenant vous exposer la véritable raison de ma venue ? »

Le seigneur, bouillonnant, lança un regard de haine en direction de son chambellan, mais finit par lever la main.

« Faites. Mais hâtez-vous. Mon impatience égale celle de ma cour. »

Edhe s’avança encore d’un pas. Sa voix, désormais glaciale, prit une gravité nouvelle.

« Moi, Edhe de Vérathia, fier représentant de l’Ordre de Sigle, Parangon désigné par les plus hautes instances, j’use de mon autorité suprême pour vous arrêter, Seigneur d’Epine, pour haute trahison envers la race des hommes et pour meurtre à maintes reprises de membres de cette même race. Par le sceau sacré de l’Ordre de Sigle, je vous condamne à la prison à perpétuité. Si vous opposez résistance, la mort sera votre sentence. »

Un silence pesant tomba sur l’assemblée, chaque convive retenait son souffle. Le seigneur resta un instant immobile, puis éclata soudainement de rire, un rire gras, brutal, qui fit trembler les murs du grand hall.

« Vous ? Vous m’arrêtez, moi ? Que croyez vous donc, Parangon ? Que je vais me soumettre ainsi, comme un vulgaire paysan devant l’Ordre de Sigle ? Jamais je ne reconnaîtrai votre autorité ! Lorsque mon oncle apprendra cette infamie, il fera brûler votre misérable fort ! Qu’on l’emmène dans mes geôles, je lui réserve un traitement spécial  »

Les gardes, obéissant à l’ordre, dégainèrent leurs armes, se préparant à attaquer. Edhe poussa un profond soupir, comme si ce scénario l’avait lassé avant même d’avoir commencé.

« Seigneur d’Epine, il est désormais question de votre vie. Je ne suis pas homme à répéter mes paroles : coopérez, ou mourez. »

D’un geste lent, presque cérémoniel, Edhe dégagea son épée de son dos, le métal de la lame émettant un sifflement sinistre en quittant son fourreau. La salle entière retint son souffle.

Un des gardes se précipita, sa lance pointée vers l’abdomen du parangon. Mais Edhe, avec une aisance déconcertante, para le coup, reculant d’un pas tout en adoptant une garde basse. Son épée était maintenue à deux mains, la pointe orientée vers l’arrière, une posture parfaite pour faire face à plusieurs adversaires, prêts à bondir sur lui de tous les côtés.

D’un seul coup, les portes du hall claquèrent violemment, se refermant avec fracas. Dans la foule, Albérion, un homme encapuchonné jusque-là discret, baissa les bras après avoir lancé un sort pour sceller les issues.

« Vingt soldats, Edhe, vraiment ? » lança-t-il d’un ton amusé, son visage désormais découvert.

Deux autres hommes, jusque-là dissimulés sous de lourdes capes, se détachèrent de la foule. D’un geste fluide, ils retirèrent leurs capuches et laissèrent tomber leurs capes, révélant leurs armures de paladin étincelantes. Les plaques de métal sombres, ornées de gravures anciennes et de symboles sacrés, brillaient d’un éclat menaçant sous les lumières des torches. Ces hommes n’étaient pas de simples gardes, mais l’escorte personnelle du Parangon.

« Quatre contre vingt hommes. » Edhe prononça ses mots avec une froide assurance, laissant chaque syllabe résonner dans la grande salle. « La donne est mauvaise pour vous. Soldats d’Epine, soyez certains qu’aucun mal ne vous sera fait si vous déposez les armes maintenant. »

Les gardes du seigneur d’Épine échangèrent des regards incertains, certains d’entre eux hésitant, leur foi vacillante face à l’aura imposante des représentants de l’Ordre de Sigle. Mais le seigneur d’Epine, furieux, pointa un doigt vengeur en direction des quatre paladins.

« Tuez-les ! » hurla-t-il, son visage déformé par la rage.

Les soldats hésitèrent une dernière fois, mais les ordres étaient clairs. Ils chargèrent en masse. Edhe, dans un mouvement fluide, fit un pas en arrière, adoptant une posture défensive, la lame tendue vers l’arrière.

« Soit. » murmura-t-il avant que le premier soldat n’ait même le temps de frapper.

La danse mortelle commença. Le coup d’Edhe fut si rapide que le soldat ne put lever sa lance à temps. La lame perfora son épaule avec une précision chirurgicale, puis, dans un mouvement fluide, Edhe fit glisser l’épée le long du corps du malheureux, tranchant ce qu’il lui restait d’épaule. Le soldat s’effondra dans un cri étouffé alors que son sang éclaboussait le sol de pierre.

Deux autres gardes s’élancèrent, lançant simultanément des attaques frénétiques. Edhe pivota avec une grâce déconcertante, esquivant la première lance par une légère rotation du buste. Le second coup fut dévié d’un revers sec de sa lame, brisant la lance en deux et envoyant des éclats de bois voler dans l’air. Dans le même mouvement, il abattit son épée sur le casque du garde audacieux, brisant le métal comme s’il s’agissait d’une simple coquille d’œuf. Le soldat s’effondra, inconscient avant même que son corps ne touche le sol.

Les autres soldats chargèrent en même temps, tentant de submerger Edhe. Leur approche était brutale mais désordonnée, et ils n’étaient pas préparés à affronter un combattant aussi aguerri. Edhe, avec une élégance mortelle, passa d’un adversaire à l’autre, son épée devenant une extension de son corps.

Les coups fendaient l’air, rencontrant le flanc d’un garde qui s’était avancé trop près. Le tranchant de la lame pénétra la cotte de mailles comme du papier, arrachant un cri de douleur à l’homme avant qu’il ne s’écroule. Edhe ne s’arrêta pas là, son épée poursuivant sa danse. Un autre coup s’abattit en une fraction de seconde, tranchant le torse d’un autre soldat, son armure cédant sous la puissance du coup. Le dernier garde du cercle recula instinctivement, la peur dans les yeux, mais ce fut peine perdue. Le Parangon avança d’un pas, feinta vers la droite, avant d’inverser sa trajectoire d’un coup d’épée si rapide que le garde ne put que cligner des yeux avant de sentir sa gorge s’ouvrir sous le tranchant mortel.

Le sol était désormais maculé de sang, et les cadavres des soldats jonchaient le sol, déchirés, mutilés, leurs visages déformés par la terreur et la douleur. Chaque mouvement d’Edhe était calculé, une symphonie de violence où chaque note sonnait la mort. Rien ne semblait pouvoir arrêter sa lame, comme si les soldats n’étaient que des obstacles insignifiants sur son chemin.

Derrière lui, les combats faisaient rage. Les deux paladins, maintenant libérés de leurs capes, s’étaient jetés dans la mêlée avec la même précision et la même brutalité. L’un d’eux, un colosse aux cheveux blonds, maniait une épée longue avec une habileté déconcertante, parant et tranchant les gardes avec une aisance fluide. Son épée virevoltait dans les airs, trouvant toujours un point faible dans les défenses adverses. À chaque coup, une arme volait, une armure se fendait, et un soldat tombait.

Albérion, lui, restait en retrait, murmurant des incantations dans une langue ancienne. Ses mains s’illuminèrent d’une lueur bleutée, et un mur de glace surgit du sol, bloquant la charge de plusieurs soldats qui tentaient de renforcer les troupes d’Epine. La magie d’Albérion claquait dans l’air comme des éclairs, projetant les soldats contre les murs, leur arrachant leurs armes des mains comme des feuilles mortes emportées par le vent.

Edhe, imperturbable, continuait d’avancer, son regard fixé sur le trône où se tenait le Seigneur d’Epine, toujours plus enragé par la tournure des événements. Deux autres soldats tentèrent une attaque conjointe, espérant prendre Edhe de court. Mais avant qu’ils n’aient pu s’approcher, le parangon pivota avec une grâce mortelle, abaissant sa lame pour couper la première jambe du soldat à sa droite. Le cri de l’homme fut noyé dans le bruit de l’acier qui se fracassait contre l’armure de son camarade. D’un geste fluide, Edhe fit suivre son épée dans un arc vers le haut, brisant la garde du second soldat et l’envoyant valser en arrière, du sang s’écoulant de son abdomen où la lame avait pénétré.

Le parangon poursuivit son chemin vers le trône, chaque pas résonnant sur le sol de pierre, son regard de plus en plus intense, fixant le Seigneur d’Epine. Ce dernier, malgré son arrogance, commençait à montrer des signes de panique. Son sourire narquois avait disparu, remplacé par une grimace inquiète.

Derrière lui, les renforts continuaient à affluer, mais à chaque soldat qui s’approchait, une lame ou un sort l’arrêtait net. Edhe, lui, restait implacable, avançant avec une détermination glaciale.

« Seigneur d’Epine, votre temps est écoulé. » déclara Edhe d’une voix posée, la pointe de son épée désormais dirigée droit vers le cœur du tyran.

Le chambellan, tremblant légèrement, se plaça entre le trône et Edhe, les yeux emplis de détermination, malgré la peur qui semblait s’emparer de lui. Il leva ses mains, des arcs d’énergie crépitant entre ses doigts.

« Un mage pour chambellan ? Voilà une surprise. » murmura Edhe, tout en se préparant à l’affrontement.

Le chambellan canalisa rapidement un sort, projetant une puissante onde de choc en direction du Parangon. Edhe, avec un calme glacé, plaça sa lame devant lui comme un bouclier. L’onde vint frapper l’acier sacré avec une force inouïe, mais la lame absorbait une partie de l’impact, résistant comme une forteresse. Cependant, le chambellan ne céda pas. Il conjura un second souffle, encore plus puissant. Ce coup-ci, Edhe fut contraint de reculer de plusieurs mètres sous la pression, ses bottes crissant sur le sol pavé alors qu’il maintenait son équilibre malgré la violence de l’attaque.

« Albérion, un mage ! » lança Edhe tout en gardant un œil vigilant sur son adversaire.

Albérion, qui croisa le fer avec un soldat non loin de là, répondit d’une voix haletante, mêlée à l’effort du combat.

« La fiole rouge ! Verse le fluide sur ta lame ! » s’écria-t-il, tout en repoussant un coup d’épée d’un geste habile.

Sous une pluie de sorts projetés par le chambellan, Edhe fouilla sous sa cape et trouva rapidement la fiole en question. Il la jeta en l’air, ses mouvements rapides et précis comme une danse guerrière, et, dans un geste acéré, brisa la fiole d’un coup de sa lame. Le liquide rouge se répandit en une fine pluie autour de la lame, s’imprégnant dans l’acier comme par magie. L’épée s’illumina soudain d’un éclat surnaturel, brillant d’une lueur incandescente, comme si elle était habitée par une force divine.

Le prochain sort du chambellan, d’une violence terrifiante, vint frapper la lame désormais enchantée. Au lieu d’être repoussé, Edhe dévia le sort d’un mouvement habile et, dans un éclat aveuglant, réussit à renvoyer l’énergie magique vers son lanceur. L’onde se retourna contre le chambellan avec une force démultipliée, frappant le mage en pleine poitrine. Projeté à travers la salle, il s’écrasa contre un mur dans un bruit sourd, inconscient, son corps glissant lentement sur le sol de pierre.

À ce moment précis, un soldat, plus imposant et résolu que les autres, réussit à s’extraire des combats chaotiques. Armé d’une hache lourde, il s’avança vers Edhe avec une détermination farouche. Ses pas résonnaient lourdement, et sa stature laissait présager d’un adversaire redoutable. Mais Edhe n’était pas en reste. Sans un mot, il recula d’un pas, esquivant d’un souffle le premier coup de la hache qui s’abattit lourdement là où il se tenait l’instant d’avant. Dans un mouvement fluide et gracieux, Edhe pivota sur le côté du colosse, passant derrière lui avec une agilité déconcertante pour quelqu’un portant une armure complète.

Avant même que le soldat n’ait le temps de se retourner, Edhe leva sa lame étincelante. D’un coup sec et précis, il trancha le corps de l’homme en deux. La hache du guerrier tomba lourdement sur le sol alors que son corps, séparé au niveau du torse, s’effondra dans un bruit sourd. Les yeux des spectateurs s’élargirent de terreur, et une pluie de sang s’abattit sur les nobles qui s’étaient réfugiés sur les bords de la salle, témoins involontaires de ce massacre.

Edhe, debout au milieu des corps inertes et du sang qui recouvrait le sol, effectua un geste sec et maîtrisé avec son bras. Sa lame siffla dans l’air, envoyant une fine éclaboussure de sang en arc de cercle. Le liquide écarlate se détacha de l’acier comme si l’épée elle-même rejetait la souillure. Le mouvement, à la fois rapide et précis, était presque un rituel, une danse silencieuse qui évoquait à la fois la maîtrise martiale et la froideur implacable du Parangon. La lame, désormais nette, reflétait à nouveau la lumière vacillante des torches, aussi éclatante et immaculée que si elle n’avait jamais été plongée dans la bataille.

Le sol du grand hall était désormais couvert d’une mer de sang, mélangeant les flaques aux corps inertes des soldats tombés. Le fracas des armes, des sorts, et des cris de guerre n’étaient plus que des échos lointains. Edhe, imperturbable, s’avança d’un pas ferme en direction du trône. Le Seigneur d’Epine, jusque-là observateur du massacre, leva sa propre lame dans un dernier acte de défi, ses yeux brillants d’une haine farouche.

« Je chie sur toi et ton putain d’ordre ! » vociféra-t-il en crachant devant Edhe, le regard empli de fureur.

Edhe ne flancha pas. Il planta ses yeux émeraudes dans ceux du seigneur, son visage figé dans une expression de calme glacial.

« Seigneur d’Epine, votre châtiment sera donc la mort. » déclara-t-il avec une froideur presque surnaturelle.

Le seigneur, le visage tordu par la rage, hurla : « Sous quelle autorité oses-tu me condamner ainsi, pleutre de Parangon ? »

Edhe s’approcha encore plus près, son épée prête à frapper. Il rétorqua, le ton chargé d’une autorité implacable :

« Mon autorité. »

Dans un enchaînement de coups fulgurants, Edhe se jeta sur le Seigneur d’Epine. Ce dernier, bien qu’expérimenté dans l’art de la guerre, ne pouvait rivaliser avec la puissance divine d’un Parangon. Chaque coup qu’Edhe portait faisait éclater les défenses du seigneur, sa lame fendant l’air avec une vitesse et une force surhumaine. Le Seigneur d’Epine tentait désespérément de se défendre, mais ses mouvements devenaient de plus en plus lourds, sa force déclinant rapidement sous l’assaut implacable. Finalement, épuisé et à bout de souffle, le seigneur lâcha son épée, son corps fléchissant sous le poids de la défaite. Il tomba à genoux, brisé.

Les derniers soldats d’Epine furent abattus par les autres paladins et Albérion. Le silence retomba dans la salle, lourd et oppressant. Le Seigneur d’Epine, à genoux, sa respiration haletante, leva les yeux vers Edhe, un dernier éclat de défi brillant dans son regard.

« Tu espères que je vais te supplier de me laisser la vie sauve, Parangon ? » cracha-t-il, le souffle court.

Edhe, impassible, se plaça à côté de lui. D’un coup sec et précis, il abattit sa lame, décapitant le seigneur sans une once d’hésitation.

« Je n’en espérais pas autant. » murmura Edhe, ses paroles résonnant dans le silence glacé de la salle.

Il se redressa ensuite, son armure éclaboussée du sang des morts, et se dirigea calmement vers le trône. Face à l’assemblée pétrifiée, il parla d’une voix forte, imposant le respect :

« Je proclame le royaume d’Epine, propriété de l’Ordre de Sigle, jusqu’à la mise en place d’un nouveau souverain. La première mesure que je prends en tant que représentant légitime de l’ordre est de redonner les terres conquises illégalement par le feu Seigneur d’Epine à leurs seigneurs légitimes. La seconde mesure sera de mobiliser l’ensemble de la garnison sur le front Ouest pour combattre les hordes de sylvestres qui nous menacent. Ainsi ai-je parlé, ainsi cela se passera. »

Albérion prit note des mots de Parangon. Alors que l’assemblée acclamait le parangon, visiblement heureuse de ne plus être sous le joug du Seigneur d’Épine, de nombreux sujets de division persistaient sur ces terres. Cependant, l’action d’Edhe venait de clore un chapitre trop longtemps ouvert. La maladie du roi avait considérablement fragilisé sa position. Le neveu n’était plus sous la protection du monarque, et Edhe jouissait d’un statut qu’on ne pouvait négliger. Son rayon d’action ne pouvait être contredit, même par un roi.

En temps normal, la situation aurait pu devenir tendue entre l’ordre et la couronne, mais même la couronne n’avait pas vocation à entrer en conflit avec l’ordre. Celui-ci avait une réputation des plus pieuses auprès de la population ; s’opposer à lui aurait été impopulaire. Pourtant, aucun Parangon n’avait entrepris d’agir comme Edhe. Èhone lui-même avait tenté de freiner l’ascension du seigneur, ne désirant pas de guerre ouverte ; il avait accepté de laisser le Seigneur d’Épine prospérer.

La quête de l’ordre n’était autre que la paix entre les hommes, visant à limiter les divisions pour s’unir contre l’agresseur. Unis, les hommes se savaient forts ; ensemble, ils auraient pu demander la paix aux sylvestres. Divisés, les hommes laissaient les sylvestres se sentir puissants, même si le front stagnait depuis plusieurs siècles.

***

Après trois jours de chevauchée à travers les terres d’Éveil, Edhe arriva enfin à la châtellerie de Vérathia au petit matin. L’air était particulièrement froid, et une fine pellicule de gel recouvrait le sol, scintillant sous les premiers rayons du soleil qui s’élevaient à l’horizon. Les paladins qui l’accompagnaient menèrent leurs montures jusqu’à l’écurie, leurs respirations formant des nuages de buée dans l’air frais.

Edhe ressentait une certaine satisfaction au fond de lui. Il contempla la châtellerie, une majestueuse construction de pierre, avec ses murs épais qui avaient résisté aux assauts du temps. Les fenêtres étaient ornées de volets en bois sculpté, et la grande porte, richement décorée, semblait l’accueillir après tant de chemin. Autour de la châtellerie, les vastes vignes, aux rameaux chargés de promesses, s’étendaient à perte de vue, témoignant de la richesse du domaine. Malgré l’heure matinale, les paysans s’activaient déjà dans les vignes, leurs silhouettes se découpant sur le ciel clair. Leurs voix s’élevaient dans l’air frais, mélodieuses et joyeuses, tandis que la buée s’échappait de leurs bouches.

Edhe se frotta les mains pour se réchauffer avant d’entrer dans sa demeure, dûment acquise grâce à la dot de sa femme. En plus d’être un parangon, il était désormais marié à la Dame de Vérathia, Elysande de Vérathia. C’était un lien qui le comblait de fierté et d’affection. Cependant, à sa grande surprise, sa calèche n’était pas là.

L’homme d’écurie lui expliqua que sa femme était partie pour la capitale, précipitamment, en raison du probable trépas du roi. De nombreux nobles et autres personnalités s’y étaient déjà rendus. La terre semblait désespérément vide en cette période morose, où l’avenir était assombri par la maladie du roi. Tous se ruaient vers la capitale, là où toute l’attention se concentrait, et Edhe ne pouvait ignorer le sentiment d’urgence qui flottait dans l’air.

L’écuyer, conscient des responsabilités d’Edhe, se permit de l’informer que le paladin Golfield était présent, avec le baron de Vérathia, et que le petit déjeuner était en train d’être servi.

En entrant dans sa demeure, Edhe se dirigea vers les cuisines, vêtu de son armure de parangon. Ses pas résonnaient dans la maison, et le cliquetis de l’armure créait un écho imposant, empreint d’autorité. L’odeur du pain chaud et du café fraîchement préparé embaumait l’air, apportant une sensation de confort en contraste avec le froid extérieur.

Golfield était adossé à la cuisinière, un sourire aux lèvres, tandis que le baron, attablé, dégustait un croissant chaud, la pâte feuilletée dorée croustillant sous sa dent. L’atmosphère était chaleureuse, marquée par une camaraderie familière. Edhe et Golfield étaient amis depuis de nombreuses années, une amitié précieuse qui avait grandement facilité le parcours d’Edhe. En effet, Golfield avait toujours vanté ses qualités, persuadant le baron d’attendre plusieurs années l’ascension d’Edhe plutôt que de marier sa fille à un autre.

« Edhe de Vérathia, Parangon de l’ordre. » Golfield s’inclina à l’arrivée d’Edhe. Son sourire était à peine visible, mais une certaine malice amicale se glissait dans ses mots.

Edhe fixa le paladin tout en retirant un gant, laissant échapper un sourire à son tour.

« Je suis surpris que vous ne soyez pas à Solari avec l’ensemble des nobles. »

Le baron trempa son croissant dans ce qui semblait être du lait chaud.

« Vois-tu, ces temps sont révolus pour deux vieux hommes comme nous. Il n’y a plus besoin de parader à la cour comme des coqs. » répondit-il d’une voix fatiguée. « De plus, le recrutement n’attend pas. Golfield part demain pour Vilcolombe, pour traverser le Goulot de Valnoir. »

Edhe s’assit avec difficulté à la table, son armure imposante émettant un léger grincement. Des taches de sang sec marquaient l’acier brillant, ce que le baron ne tarda pas à remarquer.

« Alors, ta quête, fils ? Il semble que les nouvelles ne soient pas encore parvenues jusqu’à nous. » répliqua-t-il. Le terme « fils » était devenu un surnom affectueux que lui donnait le baron depuis son mariage avec sa fille.

Edhe observa les taches de sang sur son armure et fit un geste à une domestique pour qu’elle vienne l’aider à la retirer.

« Sa tête orne l’entrée des terres d’Épine. » reprit Edhe, satisfait. Cette nouvelle sembla réjouir les deux hommes qui l’entouraient.

Golfield repliqua face aux propos du Parangon : « Voilà plus de dix mille hommes qui pourront enfin rejoindre le front. Mais tu dois faire attention, Edhe. Ces décisions ont des conséquences. J’admire ton audace, mais… »

Le baron le coupa.

« Il n’y a pas de “mais”, Golfield. Voilà bien longtemps que ce sujet aurait dû être maté. L’ordre de Sigle ne cherche que le profit au détriment de son devoir. Tant que l’Épine rémunérait les Parangons, il avait toute impunité. Voilà la vérité, et tu le sais. »

Edhe assistait, visiblement perplexe, à une vérité qu’il ignorait jusqu’alors, mais il avait appris tant de choses que la politique ne l’étonnait même plus. Golfield leva les yeux au ciel, comme si pour lui, cette assertion n’était pas tout à fait exacte.

« Je dis juste à Edhe de faire attention. Le probable trépas du roi lui a donné une fenêtre d’action, mais un Parangon ne doit pas agir en toute impunité à la table. »

La table était le lieu où se réunissaient les Parangons pour échanger sur les tâches prioritaires de l’ordre. Alors qu’une domestique peinait à retirer l’armure d’Edhe, ce dernier reprit :

« La guerre n’attend pas. Pendant que nous perdons du temps autour d’une table, des fils et des pères meurent sur le front. J’ai trop souvent vu des banquets où des riches et des nobles se goinfrent alors que le front manque cruellement de tout. Épine n’est que le début pour moi. Tous doivent contribuer à l’effort de guerre. Je n’ai pas voué ma vie à être Parangon pour parader avec mon armure. »

« Je lève ma coupe de lait à tes mots, fils. Voilà des mots sages, trop rares ! Prends-en de la graine, Golfield. » s’exclama le baron en levant sa coupe en l’air.

Golfield demanda à une servante de lui apporter de la cervoise. Bien qu’il fût devenu un vieux baroudeur parmi les paladins, réputé mais fatigué par des années à recruter de jeunes hommes envoyés à la mort, ce trouble qui le rongeait l’avait poussé vers l’excès de boisson.

« Tu ne devrais pas, mon ami. » répliqua timidement le baron. Ce dernier n’était pas homme à hésiter dans ses actions, mais il savait que le sujet était délicat avec Golfield. Edhe restait silencieux, muet à tout cela.

« Je vous le dis, mes seigneurs de Vérathia, le monde va changer. Je le ressens au fond de mon être. » déclara Golfield, l’air triste, en regardant le fond de sa cervoise qu’il venait d’engloutir comme pour échapper à une douleur sourde. « Les espions de l’ordre parlent beaucoup trop, et leurs discours résonnent comme une mélodie funeste. »

Le baron tourna les yeux vers Edhe, cherchant son approbation des mots de Golfield. Edhe soupira, puis demanda aux domestiques de quitter la petite cuisine. Il ne restait plus que le plastron à enlever.

« Il est vrai que nous constatons des modifications dans leur approche envers nous. Jadis, les sylvestres se voulaient indépendants et refusaient toute forme de diplomatie, mais d’après nos sources, ils ont pactisé avec des forces du sud... afin de nous mettre sous pression et de diviser nos forces encore davantage. La mort du roi marque une période de faiblesse, et nous craignons une mobilisation de l’ennemi. D’après nos informations, Auberouge serait la cible prioritaire. »

« L’ancienne cité des Sylvestres ? Elle est imprenable ! Elle bénéficie de leur génie, et cela fait plus de mille ans qu’elle est dans nos mains. Vos sources ne sont pas fiables. Je n’ai pas contribué autant pour voir Auberouge tomber de mon vivant ! » s’exclama le baron, visiblement agacé.

« C’est une vérité qu’il faut envisager. » rétorqua le paladin avec fougue.

Edhe balaya cette idée d’un geste résolu, se levant de sa chaise avec une détermination palpable.

« Ça n’arrivera pas ! »

Golfield, avec une lueur d’inquiétude dans les yeux, intervint.

« Que va faire l’ordre ? Nous ne combattons pas les sylvestres ; nous ne sommes que des témoins de notre propre déclin. Nous n’interférons pas dans les conflits majeurs de notre continent. »

« Moi, je prendrai les armes si nécessaire ! » affirma Edhe, sa voix résonnant comme un défi.

« Baliverne ! Tu irais à l’encontre du code, et tu perdrais tout ce que tu possèdes ! »

Le baron, préoccupé, se leva pour apaiser l’énervement de Golfield, dont les tremblements trahissaient la colère mêlée de fatigue. Edhe, le cœur lourd, prit un moment pour réfléchir à ses mots.

« Très bien, je vais imposer un décret au sein de l’ordre. L’ordre se dressera contre les sylvestres. »

Golfield inspira profondément, tentant de reprendre son souffle, mais il semblait accablé par la rage et la fatigue. Il s’affala sur l’un des tabourets de la cuisine, le visage marqué par l’angoisse.

« Tu n’en as pas le pouvoir. Un décret ne peut être validé qu’avec l’accord unanime de la table. »

« J’ai tous les pouvoirs nécessaires. Ne sous-estime pas mon influence à la table ; cela fait un an que j’en fais partie. »

« Edhe, tu déranges plus par tes actions que tu ne gagnes la sympathie de la table. Tout le monde te respecte, mais ils espèrent que ta fougue se tempère. L’ordre a rédigé des lois claires : nous devons unir les hommes, pas faire la guerre aux sylvestres ! »

« Si je ne peux pas convaincre la table, j’irai moi-même. J’ai trop longtemps tergiversé ; il est temps de rétablir l’équilibre des forces sur le front. »

Le baron, surpris par les paroles du Parangon, comprit alors l’ampleur de sa détermination. Il savait qu’Edhe était impulsif, mais il ne pensait pas qu’il aspirait à se rendre sur le champ de bataille.

« Edhe, je connais trop bien la guerre. Je ne souhaite pas que ma fille soit veuve à la fleur de l’âge. L’espérance de vie des soldats sur le front contre les sylvestres est inférieure à un an. »

Une douleur sourde s’insinua dans le cœur d’Edhe à l’idée de quitter Elysande. Chaque instant passé à ses côtés, chaque sourire échangé, chaque doux souvenir l’emplissait d’une mélancolie déchirante.

« Seigneur de Vérathia, avec tout le respect que je vous dois, j’ai participé à plus d’une centaine de batailles. Cette expérience sera un atout majeur pour ma survie et notre victoire. Vous avez raison, Auberouge ne doit pas tomber. Je veillerai personnellement à cela. »

Il ferma les yeux un instant, visualisant le visage d’Elysande, son regard plein de douceur. La pensée de la laisser derrière lui le déchirait, mais il savait que le devoir appelait.

« Maître Paladin, je vous retire de vos fonctions habituelles et vous désigne comme mon relais sur le front. En mon absence, vous aurez pour mission de faire passer mon décret, autorisant les membres de l’ordre à combattre les sylvestres. »

« Ne fais pas cela, Edhe ! » implora le baron, sa voix tremblante de désespoir.

« Je ne peux plus rester ici, pendant que la guerre menace de tout dévorer. J’irai sur le front d’Auberouge en tant que commandant en chef des armées. Que ce message soit diffusé à travers le continent. Ainsi ai-je parlé. »

Les mots résonnèrent dans la pièce, lourds de conséquences. Edhe savait qu’il ne pouvait pas faillir, même si cela signifiait quitter celle qu’il aimait le plus au monde. L’ombre de la guerre s’étendait sur eux, et il était temps d’agir, peu importe le prix à payer.

˜˜˜