Chapitre 2 - Les conséquences du mal
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Chapitre 2
Les conséquences du mal
Paris, 15e arrondissement
Dans la pénombre de la nuit parisienne, le quinzième arrondissement, lieu de nostalgie avec ma compagne, se parait d’une aura mystérieuse, ses rues pavées résonnant des murmures de l’histoire ancienne. Ce soir-là, un voile d’incertitude planait sur la ville des Lumières.
L’ombre de la tour Eiffel se dessinait à l’horizon, une toile de fond éthérée pour un récit qui allait bientôt se dévoiler. Les avenues animées de la capitale étaient le théâtre d’une soirée singulière, où le destin s’entrelaçait avec les lumières scintillantes des cafés et des brasseries.
Mon intention initiale était de laisser derrière moi l’agitation quotidienne, de me libérer des chaînes du travail acharné pour une soirée de détente en compagnie de ma bien-aimée et de ma meilleure amie. Cependant, le destin en avait décidé autrement, tissant les fils invisibles qui me conduiraient à travers les dédales du quinzième arrondissement.
Vêtues de robes élégantes, ma compagne et ma meilleure amie étaient les étoiles qui illuminaient ma soirée. Leurs présences, empreintes d’une grâce naturelle, captivaient mon esprit. La richesse récente avait ouvert les portes d’une surconsommation de vin fin, créant une atmosphère enivrante. Ce soir-là, j’étais entouré des deux femmes les plus magnifiques de Paris, une conviction gravée dans mon esprit, me laissant croire que le monde entier s’enviait ma chance.
Dans l’atmosphère feutrée d’un établissement élégant, mon univers a été subitement interrompu par les tonalités persistantes de mon téléphone personnel, insistant à plusieurs reprises alors que je réglais méticuleusement l’addition. Une voix familière, celle de mon plus cher ami, m’a convié à le rejoindre pour une mission d’une importance capitale, promettant des retombées significatives. Bien que mon impulsion ne fut pas dictée par l’appât du gain, mais plutôt par le désir de forger mon image au sein de mes pairs à travers ma souplesse d’esprit, je cédais à l’invitation.
Cependant, ma compagne, Valentine, accueillit mal cette négligence de ma part. En dépit de mes assurances affirmant que cela ne prendrait guère de temps, une lueur de déception était perceptible dans ses yeux. Un dernier baiser, une tentative de réconfort, mais le tort était déjà causé ; elle me tenait rigueur de m’éclipser et de délaisser notre journée commune.
Le malaise m’a envahi alors que j’employais l’une de mes voitures principales à des fins professionnelles, une pratique inhabituelle. À mon arrivée à l’adresse indiquée par le GPS, la réalité m’est apparue sous la forme d’un gala mondain. Prononçant mon nom, le voiturier a pris en charge immédiatement ma voiture, me permettant l’accès. J’avais revêtu un costume, supposant que mon meilleur ami avait tablé sur cette tenue par défaut. Conscient que mon travail se mêlait souvent à l’aristocratie, une esthétique luxueuse m’était devenue familière.
Une fois sur place, j’ai discrètement composé le numéro de mon complice le plus intime, que nous désignerons sous le pseudonyme de Soren pour préserver la trame du récit, son nom véritable demeurant dans l’ombre. Je me suis niché dans un coin de la salle avec la discrétion qui me caractérise.
Il se précipita vers moi avec promptitude, révélant qu’un client d’une richesse exceptionnelle, aux exigences singulières, honorait de sa présence la soirée en cours. En réplique, je suggérai l’impérative nécessité d’alerter « mes hommes » pour superviser la situation. Soren m’informa alors que des individus privilégiés, directement liés à cet événement, étaient nos donneurs d’ordre, éliminant ainsi tout intermédiaire. La tournure des événements me déplaisait ; en règle générale, mon rôle se limitait à déléguer plutôt qu’à agir de manière directe. Cette immersion dans l’action comportait des risques, une exposition à laquelle je n’étais guère enclin. Malgré l’appât d’un gain financier substantiel, ma motivation faisait défaut en cette soirée. En tant qu’habitué à la vente de substances illicites et à la gestion des règlements à la sortie, m’engager de manière plus directe était une démarche inhabituelle.
J’émis mes réserves face aux demandes singulières du client, lui dévoilant mon malaise. C’est alors qu’il m’évoqua le « Gamma-Hydroxybutyrate ». Bien que je confessasse mon ignorance, il m’éclaira promptement en utilisant l’acronyme «GHB», signifiant ainsi la drogue liée aux agressions sexuelles.
« Il n’y a pas d’excuse pour le mal, et il n’y a pas de pardon. »
Malgré la facilité qu’aurait offerte l’éviction de cette part sombre de ma vie, je ne cherche pas le pardon pour les actes répréhensibles que j’ai commis. Solliciter le pardon après de tels méfaits me semble trop aisé. Certains actes échappent à toute rédemption. Malgré les pressions, j’ai priorisé l’impératif professionnel au détriment de ma conscience morale. Je prends conscience que, si ce n’était pas moi cette nuit-là, une autre personne aurait peut-être agi avec moins de « retenue ». On m’affirme aujourd’hui que je suis une personne intègre, mais il demeure ardu de m’accepter comme telle après les méfaits dont je suis capable.
C’est ainsi que je fis la connaissance de notre client, un Suédois ne maîtrisant pas un mot de français. Lorsqu’il débuta son discours en anglais, Soren assura la traduction. La soirée devait être consacrée à célébrer avec au moins trois femmes, marquant la fin de la journée et les ventes de tableaux. Le client, déjà fortement intoxiqué par l’alcool et la drogue, avec son visage fin et son corps délié, provoquait en moi un inconfort que je dissimulais habilement. Il tentait de nous expliquer qu’il ne tolérerait aucune résistance de la part de ces femmes, insistant sur le fait que nous devions prendre en charge l’ensemble des « dames » à sa place, ce soir et demain matin.
Soren m’a alors spécifié que le client ne devait en aucun cas intervenir lui-même. Notre tâche consistait à acheminer les « colis » de manière autonome, en effectuant toutes les démarches nécessaires. Honnêtement, ce soir-là, peu de questionnements me traversaient l’esprit. J’ai toujours trouvé plus aisé de puiser en moi l’assurance nécessaire dans le cadre professionnel plutôt que dans ma vie personnelle. Rien ne semblait pouvoir entraver ma trajectoire, et je me sentais capable de tout, que ce soit le meilleur ou le pire.
Ainsi, je me suis retrouvé isolé à une table du bar, observant attentivement les individus alentour. Ma mission était claire : droguer une femme et la conduire jusqu’au point « X » pour satisfaire mon client. En de telles circonstances, il est crucial de choisir sa cible avec discernement, surtout lors d’un gala où foisonnent des personnalités diverses. Il y a ceux qui détiennent le pouvoir, que je ne dois pas approcher, et ceux qui le recherchent, souvent des cibles plus accessibles, ouverts à toute proposition pour faire avancer leurs activités.
La question était donc de dénicher trois femmes aussi belles que discrètes au sein de cette élite. Ce défi aurait pu s’avérer complexe pour certains, mais pour moi, c’était comme être un chasseur à la recherche de sa proie. Cependant, il fallait encore trouver la bonne personne. La faiblesse des individus de nos jours réside dans le fait qu’ils exposent toute leur vie sur les réseaux sociaux. Mon défi était de repérer une personne capable de ne pas déclencher un effet domino, quelqu’un de sensible à mes menaces, prêt à garder le silence sur ce qui devait arriver.
Un profil trop remarquable pouvait provoquer des remous, une situation que je ne pouvais, ni ne voulais contrôler. Ce rôle d’analyste me plaisait ; j’aimais rester en retrait, observant le monde qui m’entourait. Je percevais un troupeau de moutons, évoluant sur cette terre sans un rôle ou un but précis, et refusant d’accepter que leurs contributions à cette existence soient aussi futiles que la mienne. Cependant, à la différence des autres, j’étais honnête avec moi-même.
Malheureusement, ma quiétude fut rapidement perturbée par un imprévu : une femme s’installa devant moi. Je qualifie cela de malheureux car je préfère maîtriser la situation. Généralement, c’est moi qui initie la conversation pour la diriger selon mes intentions. Lorsque vous prenez l’initiative d’une discussion, votre interlocuteur subit souvent l’impact. Dépourvu de cette attaque, j’accepte mon sort et me conforme au jeu de ma potentielle future victime. Elle me demande si elle peut s’asseoir, et je lui réponds avec un grand sourire qu’elle en a tout à fait le droit. En réponse, elle saisit immédiatement cette opportunité pour conserver le contrôle, consciente du pouvoir qu’elle exerce sur les hommes, n’éprouvant aucune crainte à engager la conversation avec un homme.
« Qu’est-ce qu’un homme aussi séduisant fait-il seul à cette table ? C’est du gâchis. » lance-t-elle d’un ton moqueur face à ma présence solitaire. Répondant avec une sincérité calculée : « Tout comme vous, je suis en chasse. Je prends le temps d’analyser les individus, décidant avec qui je partagerai la soirée. » Ces joutes verbales sont des instants privilégiés, et bien que mes souvenirs exacts des paroles soient flous, je suis certain que le lien était authentique. Mentir n’a jamais été dans mes intentions, car je refuse de faire partie de ceux qui se cachent derrière le mensonge. Je m’efforce de dire la vérité, même si parfois, je la modèle pour qu’elle soit digeste. Connaissant la statistique selon laquelle un homme ment en moyenne deux fois par jour, je m’efforçais de limiter mes paroles pour éviter de recourir au mensonge. Vous noterez que je n’ai pas menti.
« Pourquoi pensez-vous que je suis en chasse ? » demande-t-elle, reprenant ainsi un semblant de contrôle.
Ce moment me revient en mémoire avec un sourire. Nous étions sur un ring, elle pensait reprendre le contrôle tout en s’embourbant davantage dans une spirale où j’atteindrais mes objectifs.
« Observez le monde autour de nous. Des artistes se trouvent ici. Vous pourriez vous attabler à leur table pour obtenir un autographe. Je n’en suis pas un. Ainsi, vous n’êtes pas ici pour un autographe. Des groupes d’hommes et de femmes sont attablés. Les groupes ne sont pas faciles à approcher, tandis qu’une personne seule est une cible facile pour atteindre ses fins. Je suis ici, seul, je suis par conséquent la cible la plus logique. Qu’en pensez-vous ? » Dans le cadre professionnel, ma répartie acérée était une arme que, malheureusement, je n’arrivais pas à déployer dans ma vie personnelle. Bien qu’à l’époque, les frontières entre ces deux mondes étaient minces.
Convaincu de mes compétences en séduction, bien différentes de celles des séducteurs qu’elle devait côtoyer chaque jour, et renforcé par son initiative, je savais que ma cible était conquise. Je me présente alors comme Duncan Valauroy, une identité fréquemment utilisée, accompagnée d’une histoire familiale. J’aimais mettre cela en avant. Elle fait remarquer que ce prénom n’est pas typiquement français.
Naturellement, après ma présentation, elle dévoile son nom et prénom. À cet instant, vous êtes à mes yeux comme une adresse IP d’ordinateur. Votre vie se dévoile sous mes yeux, je peux connaître votre lieu de résidence, les détails de votre compte en banque, votre entourage familial et amical. J’aimais dire que je pouvais deviner les dates des menstruations d’une femme en consultant son compte bancaire, si des achats de produits en pharmacie étaient réciproques. C’est ce que, dans mon milieu, nous appelions les « faiblesses ». À ce moment, vous avez des points de pression à exploiter pour dominer votre cible. À l’époque, j’avais à ma disposition trois hackers. Pour la modique somme de mille euros, tout était accessible. Le Dark Web fourmillait de hackers cherchant ce genre de contrat. Si cela ne suffisait pas, mon réseau de contacts privés comptait des agents de police prêts à fournir des informations cruciales moyennant un pot-de-vin ( casier judiciaire, etc... ). Mon rôle consistait à combiner ces informations pour découvrir les « faiblesses » et atteindre mes objectifs. Chacun de nous dissimule des secrets qui ne doivent pas être révélés. Le mal se tapit en chacun de nous.
Je dépêche un message contenant le nom et le prénom de la personne afin de confirmer si elle correspond à ma cible. Pendant ce temps, nous entretenions ce flirt, comme si elle était exceptionnelle et moi son exception. Un instant que j’apprécie pleinement, même si, dans un autre contexte, j’aurais peut-être succombé à ses charmes. Le retour à la réalité m’irrite, car le message suivant de Soren me parvient via texto : « NON surtout pas elle. ». Le temps semble filer trop vite dans ces moments, et je perds une part précieuse. L’action s’impose.
Il n’est pas aussi aisé qu’on pourrait le penser de mettre fin à une séduction qui semblait bien partie. En vérité, je jouais un rôle, mais trouver la manière appropriée de lui faire comprendre mon désintérêt se révèle délicat. Je conclus la conversation alors qu’elle partage ses projets de voyage, lui signifiant sans détour que je ne suis pas intéressé par son profil. Ma réponse est plutôt abrupte, mais elle semble ne pas réaliser la chance qu’elle avait. C’est étonnant de constater qu’elle ne prend pas mal ma réponse, suscitant en moi une légère touche d’orgueil. Toutefois, cela me rappelle néanmoins que malgré mon apparence séduisante, je suis loin d’être un Don Juan.
Je déambule ensuite entre les tables, écoutant les conversations à la recherche de ma « cible ». Je concède que la tâche devient de plus en plus ardue. Dans un gala, la plupart des convives sont généralement d’une certaine importance. Avec le recul, je regrette d’avoir fait preuve de plus de résilience que nécessaire pour accomplir ma mission. Néanmoins, ce soir-là, je trouve finalement ma cible.
Elle ne maîtrise pas bien le français, s’exprime en anglais scolaire avec un fort accent de l’est, probablement russe ou ukrainien. Une femme splendide aux longues jambes, vraisemblablement mannequin, elle est attablée avec deux autres femmes tout aussi remarquables. Comme mentionné précédemment, s’approcher d’une table lorsque plusieurs personnes sont présentes constitue un défi. Pourtant, je dois l’isoler. Je m’approche de la table pour tenter d’attirer son regard, mais en vain. Sans établir ce contact visuel, il m’est difficile de garantir une approche mémorable, du moins, c’est ce que je crois à ce moment précis.
J’ai opté pour la technique la plus ancienne du monde, sans prendre le temps de m’informer davantage. Informant Soren de ma cible et de ma nécessité d’avoir « un verre », il n’a pas tardé à lui présenter un verre, que le barman a apporté. L’origine du verre reste un mystère, et je me demande toujours comment Soren a réussi à convaincre le barman de garder le silence et de lui remettre ce verre. Le barman a expliqué qu’il était offert de ma part, alors que je m’appuyais au bar.
Les échos de leurs rires et les encouragements à ce qu’elle vienne me voir résonnent encore dans mes oreilles. Elle emporte son verre, en prenant une gorgée avant de se lever, parée d’une magnifique robe grise pailletée sur fond noir. Dans un français maladroit, elle m’explique qu’elle est flattée mais déjà en couple et « so amoureuse ». Un sourire se dessine sur mon visage alors que je lui réplique que moi aussi, en insistant sur le « so », mais que ce n’est pas pour elle que je suis là. Son incompréhension persiste.
Les drogues endogènes agissent généralement entre 5 et 15 minutes en fonction des profils. Nous entretenons la conversation pour permettre à la drogue de faire son effet. Je m’oblige à boire, espérant générer un effet miroir, mais elle ne boit pas. À ce moment, l’efficacité réelle de la drogue m’échappe. Pourtant, elle semble soudainement perdre connaissance, riant parfois bêtement sous mon regard imperturbable. Le barman me lance un regard en coin. Ses amies s’aperçoivent que quelque chose ne va pas chez elle. Je fais mine de les appeler, puis la couche par terre. Elle semble ressentir d’importants vertiges. Interrogée à propos de son état, elle fait un signe de tête positif.
Soren prend l’initiative et intervient, s’enquérant de la situation. Les filles veulent m’écarter du groupe. Avec l’intervention de Soren, je me retire sans faire d’histoire, les observant de loin. La jeune femme tente de se relever avec l’aide de mon ami et d’une de ses amies. Mon meilleur ami, parlant un anglais parfait, les rassure et demande à l’une des amies de le suivre pour les conduire à l’hôpital, soupçonnant une intoxication alimentaire, bien qu’il soit conscient que c’est l’effet de la drogue ajoutée dans le verre. De nombreuses personnes s’approchent, curieuses de la situation, bien qu’elle soit consciente. L’empathie humaine semble agir, ou peut-être est-ce la curiosité malsaine qui nous retient de détourner le regard lorsqu’il y a un accident de voiture sur le bas-côté. Ils montent dans un taxi à l’extérieur ; Soren, ma cible et l’une de ses amies se précipitent à l’intérieur. J’attends quinze minutes avant de recevoir un texto avec deux noms et prénoms. J’appelle immédiatement mes contacts qui vérifient leurs profils et je réponds par un simple « oui ». Je reçois alors l’adresse d’un hôtel avec le message « viens ». Je m’exécute immédiatement.
La nuit semblait s’étirer indéfiniment alors que je restais immobile dans la voiture, devant l’adresse de l’hôtel. Les heures s’égrenaient lentement, et je m’autorisais à somnoler. Un message de Jennifer, ma meilleure amie, m’informa qu’elles étaient en soirée et ne rentreraient probablement pas avant l’aube, me demandant de ne pas m’inquiéter. Le message était accompagné d’un selfie d’elles deux avec d’autres amies. J’ai alors branché un câble à mon téléphone et mis de la musique relaxante. Le travail demandait de la patience, une qualité que j’avais perdue avec le temps. Il fallait savoir attendre, rester à l’affût du moindre message sans agir.
Enfin, le téléphone sonna, et je vis mon meilleur ami sortir de l’hôtel, suivi de notre client. Avec le temps, j’avais supposé qu’il avait réussi à convaincre l’amie de notre cible de ne pas les suivre à l’hôpital en la payant. Soren me donna le numéro de chambre et précisa que la carte de la chambre était sur la porte. Il m’expliqua que nous ne serions pas payés autant que prévu car nous n’avions qu’une fille. Ma mission maintenant était d’évacuer la fille. Je sortis de la voiture, réajustai ma veste pour dissimuler ma chemise froissée, et pris mes gants en cuir ainsi que mon trois-quart dans l’habitacle arrière.
J’entrai alors dans l’hôtel sous le regard chaleureux du personnel de la réception qui me couvrit d’un aimable « bonjour ». Je les informai que j’avais un rendez-vous avec la chambre « X ». Chaque pas vers la chambre semblait pesant. Des questions tourbillonnaient dans ma tête sur ce que je pourrais voir et ce que je devrais faire. Je n’aimais pas l’inconnu et encore moins les surprises. Je remarquai les détails, comme la moquette et les moulures sur les poteaux de l’hôtel. L’établissement s’éveillait doucement à la lueur du jour. Dans l’ascenseur, je croisai un autre client de l’hôtel. Tout le monde semblait de bonne humeur, mais mon visage ne reflétait pas la même disposition. J’avançai vers la chambre, ouvris délicatement la porte, me préparant à ce qui m’attendait à l’intérieur.
Dans le corridor étroit menant à la chambre, mes yeux sont captivés par une scène surréaliste qui se dévoile. Les résonances de mes pas bourdonnent dans ma tête, chaque pas dévoilant mon anxiété grandissante. Les trente secondes nécessaires pour franchir les trois mètres semblent s’étirer indéfiniment, ma marche empreinte d’une terreur profonde face à l’incertitude imminente. En revêtant avec précaution mes gants, je fais face au lit. Elle repose là, dénuée de toute intimité, les jambes entrouvertes, les bras étendus, son visage dissimulé sous une cascade de cheveux d’or. Un vertige m’envahit, mon regard s’embrouille comme si ma vision refusait de reconnaître cette réalité brutale. Mon cœur s’emballe, une réaction instinctive me pousse à reculer, m’effondrant sur une chaise pour reprendre mon souffle. Mes poumons se crispent, l’angoisse de l’étouffement me saisit. Je frappe ma poitrine pour raviver la flamme de ma respiration. L’étrangeté de voir mon propre corps défaillir me paralyse, la perte totale de contrôle sur mon être me confronte à une expérience inédite. Il me faudra près d’une demi-heure pour retrouver une respiration apaisée.
Ignorant si un souffle de vie anime toujours son être, je m’arrache les cheveux dans un geste de désespoir, envahi par un dégoût de moi-même. Finalement, je couvre son corps nu, un geste mécanique face à l’impuissance de la situation. Rassemblant mon courage, je libère son visage des liens capillaires, révélant une nuance rougeâtre et des marques sur la partie visible de son visage. Je comprends alors qu’en plus du viol, il l’a frappée. Dans un accès de rage impuissante, je mords ma propre main, l’envie de hurler étouffée par des larmes silencieuses qui coulent sur mes joues. Prendre le pouls devient une épreuve en cas de panique. Mais je prends le temps de l’observer, distinguant encore le souffle ténu de la vie. Des tapotements sur son visage, deux fois, en vain. Je hisse son corps plus haut dans le lit, cherchant à la couvrir convenablement, mais la panique persiste, l’incertitude m’étreint. L’eau coule de la douche sans raison apparente, puis je décide d’activer délibérément le jet, y jetant une serviette sous l’eau froide comme un réflexe incontrôlé.
La lumière s’allume, mon reflet me confronte à une vision floue, un visage, flou lui aussi, captivant mon profil pendant plusieurs secondes. Aucun changement, mon visage demeure une énigme indéchiffrable. Je prends la serviette, retire une partie du drap, la déposant sur sa poitrine. Une légère réaction, des tapotements plus insistants. Enfin, ses yeux s’ouvrent. Je suis trempé, ayant négligé d’arrêter l’eau de la douche. Sa tentative pour se lever révèle une confusion totale, ses paroles inintelligibles dans sa langue. Terrifiée, elle peine à saisir ce qui lui arrive. Répétant « calm down », elle se lève, chancelle vers la porte. Face à un être humain terrifié, je perds toute emprise pour la première fois de ma vie. Évitant tout contact physique, je ne peux la laisser partir. Je la retiens tout de même afin d’éviter une éventuelle fuite. Dans mes bras, je la serre, répétant « please, stop », « I help you, stop please ».
Sa faiblesse la fait rapidement cesser toute résistance. Consciente de son calvaire, elle pleure abondamment, exprimant sa douleur dans sa langue. Contre moi, ma main se glisse dans ses cheveux pour l’apaiser, répétant inlassablement des excuses. Alors que je la tiens dans mes bras, la fragilité de son être contre ma poitrine suscite en moi une vague dévastatrice de culpabilité. Ses sanglots résonnent dans le silence de la chambre, témoignant d’une douleur incommensurable que je ne peux ignorer. Un étau de remords serre mon coeur, me rappelant chaque détail de la séquence macabre que je viens de découvrir. L’odeur de la peur et de l’agonie flotte dans l’air, imprégnant mes sens et accentuant le poids de ma propre complicité passive.
Les excuses continuent de s’échapper de mes lèvres comme un murmure impuissant. Mon esprit tourbillonne dans une tempête d’auto-récriminations, me projetant dans une mer de questions sans réponse. Pourquoi n’ai-je pas agi plus tôt ? Comment en suis-je arrivé à participer à cette scène abominable ? Mon âme vacille sur le fil vacillant entre la culpabilité et le désir ardent de rédemption.
Le poids de son corps tremblant dans mes bras amplifie le fardeau écrasant de mes propres faiblesses. Chaque sanglot est une lame qui transperce mon être, réveillant des échos de tourments intérieurs que je pensais avoir enfouis depuis longtemps. Ma compassion, mêlée à ma complicité involontaire, crée un noeud indissoluble de culpabilité qui étreint mon âme.
Tandis que je tente de la réconforter, le doux murmure de sa détresse résonne comme un rappel incessant de la noirceur qui m’a aveuglé. La douleur dans ses yeux m’enserre, et chaque battement de son coeur devient un reproche tacite. Mes bras qui cherchent à apaiser sont devenus des chaînes invisibles, emprisonnant mon être dans un tumulte émotionnel insoutenable. Les minutes s’étirent, une éternité en suspension. Je lui répète encore ma volonté de l’aider, la suppliant en français de me laisser intervenir. Ma veste la recouvre, puis je me place devant elle, prenant ses mains. Dans le calme, un dernier « I help you ». Elle acquiesce, au milieu de sanglots. La douche persistait de couler. La scène s’éternisait, j’étais presque sec. L’aidant à se relever, son corps entier tremble. Menaçant de tomber, je la rattrape de justesse avant de la porter. L’accompagnant vers la douche, je teste la température de l’eau, l’invitant à y entrer. Elle s’y glisse, ma veste toujours sur le dos. Je récupère sa robe, posée au sol, lui apportant avant de refermer la porte de la douche.
Mon attention se porte sur l’écran lumineux de mon téléphone, mais mes gants entravent toute tentative d’interaction avec l’écran tactile. Dans un geste brusque, je retire violemment les gants, laissant tomber le poids de mon anxiété avec eux. Remontant mes manches, je découvre un message de Valentine qui m’interpelle : « Je suis rentré, tu es où, mon coeur ? » à 7h08. D’un geste pressé, je réponds : « C ok RAS. Jtm. »
À 9 heures, une réponse immédiate de sa part apparaît : « On me dit « Je t’aime », pas « jtm », avec un smiley ». Elle avait l’habitude de souligner l’importance de prendre son temps pour exprimer notre amour, en écrivant les mots correctement. Ce bref échange, préservé dans ma mémoire et sur mon téléphone depuis des années, symbolise le moment où j’ai retrouvé un semblant de quiétude et une légère force d’agir.
Tentant ensuite de joindre Soren sans succès, je m’effondre sur le fauteuil de la chambre, fixant la porte de la salle de bain. Un soulagement m’envahit quand j’entends le bruit de la douche s’interrompre. Entrer dans la salle de bain me paraît au-dessus de mes forces.
Elle émerge, les bras repliés, toujours tremblante, son corps à peine sec. Enfin, mes esprits s’éclaircissent. Assise sur le bord du lit, la tête baissée, elle est une vision de vulnérabilité. En français, je lui adresse des mots précis : « Vous devez comprendre qu’ils vous feront du mal, à vous et à votre famille, si vous parlez. » Elle hoche la tête, pleurant légèrement cette fois.
M’accroupissant devant elle, je lui réaffirme mon engagement à l’aider. Elle me demande de l’emmener à l’hôpital, se plaignant d’une forte douleur au cou. Je ravale ma salive, lui expliquant que c’est impossible, et je répète : « Vous devez comprendre qu’ils vous feront du mal, à vous et à votre famille, si vous parlez. » Elle me supplie de la ramener chez elle.
Je lui cède mon manteau pour la préserver du froid, lui offrant également une serviette afin qu’elle puisse sécher ses cheveux. Je souligne la fraîcheur extérieure, l’avertissant du risque de prendre froid. Je mentionne que nous devons partir. En réalité, elle semblait épuisée, et demander le moindre effort lui paraissait presque surhumain. Cependant, le lieu de son malheur n’était pas propice à la léthargie. J’arrive finalement à la persuader de partir.
Elle sort de la chambre en s’appuyant sur mon bras, et je sens encore son poids contre moi, témoignant de sa difficulté à marcher. Ensemble, nous traversons la réception où les regards des gens se posent sur nous. Je prends le temps d’expliquer que la soirée a été un peu trop arrosée et que nous devons prendre un avion. Nous prenons la voiture en direction de l’aéroport Charles de Gaulle. Sur le trajet, je règle le chauffage pour qu’elle n’ait pas froid. Son silence en dit long, et je le comprends.
À l’aéroport, j’achète des vêtements plus chauds, conscient du froid persistant et de sa tenue insuffisante malgré mon propre manteau. Un billet pour un vol vers Bucarest est pris, le plus tôt disponible dans plus de sept heures. J’attends à ses côtés.
L’aéroport, d’ordinaire un lieu vibrant d’activité et de bruits, se transforme en un sanctuaire étrangement silencieux. Le poids de la réalité semble s’abattre sur nos épaules, et le silence devient le seul langage capable d’exprimer l’ampleur de la situation. Pas un mot n’est échangé entre nous, seulement le murmure sourd des émotions inexprimées.
Les heures s’étirent lentement, chaque minute pesant comme un fardeau insupportable. Le tableau des départs affiche inlassablement le délai restant avant le vol vers Bucarest. L’attente, initialement empreinte de l’urgence de la situation, se transforme en une éternité que nos regards partagés ne peuvent qu’accentuer. Chaque tic-tac de la montre résonne comme un rappel de l’urgence de la fuite, de la nécessité de mettre de la distance entre elle et ceux qui lui ont infligé ce mal. Ceux dont je faisais partie.
Chacun de nous scrute l’autre, cherchant des réponses dans le mutisme qui nous entoure. L’horloge semble se moquer de nous, marquant le temps qui s’écoule sans hâte, sans compassion. Les regards fuyants sont autant de tentatives d’échapper à la réalité, de se perdre dans le vide des pensées. Les lumières de l’aéroport vacillent dans la pénombre, créant une atmosphère irréelle, comme si le monde extérieur avait suspendu son souffle en solidarité avec notre drame.
Lorsque l’annonce du vol vers Bucarest résonne enfin dans l’enceinte de l’aéroport, un soupir de soulagement presque inaudible s’échappe de nos lèvres. Le poids de l’attente semble s’alléger, mais il reste dans l’air une tension palpable, un sentiment d’inachevé. Je lui remets l’intégralité de l’argent que j’ai dans le portefeuille. Les pas hésitants vers la porte d’embarquement sont empreints d’une résolution teintée d’appréhension. J’attends que l’avion décolle.
Lorsque l’avion prend son envol, une partie de ma culpabilité semble s’effacer, mais une cicatrice persiste sur mon coeur, s’étirant et me dévorant de l’intérieur. Mon mépris envers moi-même grandit, alors que, croyant en ma propre intelligence, je réalise l’absence de réflexion dans cette entreprise. La honte m’envahit d’une manière inédite, obscurcissant davantage mon âme.
De retour chez moi, bien après 23 heures, je trouve l’appartement désert. Valentine dort dans le lit. Un sentiment de nausée m’envahit. Cette nuit-là, le sommeil me fuit.
Aucune mission ne vient assombrir le sillage d’une semaine éprouvante, une pause nécessaire après le tourbillon de cet événement traumatisant. Le lendemain, je suggère à Valentine de m’accompagner en voiture, une proposition qui n’a besoin d’aucun mot pour être comprise. Dans les dix heures qui s’étendent comme une éternité, le silence est notre unique compagnon. Mon mutisme devient une barrière impénétrable, comme si les mots eux-mêmes avaient perdu toute signification face à la charge émotionnelle qui pèse sur nos épaules.
À notre arrivée sur la côte d’Azur, l’épuisement me submerge, et je m’abandonne à un sommeil profond qui dure quatorze heures. Le tumulte de la vie quotidienne s’évanouit momentanément, et nous nous réfugions dans ce havre loin du mal que j’avais déchaîné. Dans ce cocon temporaire, Valentine glisse doucement ses doigts dans mes cheveux, une caresse qui, bien que tendre, semble teintée de compréhension silencieuse. Cependant, même dans ce refuge apaisant, je ressens l’ombre de ma culpabilité planer.
Ces instants de quiétude, où je me perds dans l’horizon trouble de mon âme tourmentée, deviennent des moments d’introspection douloureuse. La question persistante de savoir si la lumière existe encore quelque part dans ce labyrinthe d’obscurité m’obsède. Mon regard se pose sur elle, l’être aimé, et la conscience d’être une éclipse s’insinue, étouffant chaque étincelle d’espoir autour de moi. Mon amour pour elle se transforme en une épine enfoncée dans ma propre chair, chaque regard qu’elle porte sur moi devenant une énigme déchirante, une interrogation muette sur la profondeur de ma noirceur intérieure.
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Jennifer et Valentine sont pleinement conscientes de chacune de mes actions, à l’exception de celle-là.
Le destin de ma «cible» demeure une énigme, son existence s’évanouissant des réseaux sociaux telle une ombre fugace.
L’amie, autrefois aspirante mannequin, a connu un destin différent. Son parcours n’a pas trouvé l’éclat escompté, mais elle s’est épanouie dans une relation avec un homme prospère, s’éloignant du monde des projecteurs.
Mon client, imperturbable, continue de prospérer dans l’univers de la photographie, échappant à toute forme de rétribution.
Un texto nocturne de Soren me hante : « C’est ok ? » - Ma réponse laconique : « Oui. » Depuis, le mutisme règne, l’histoire enfouie au plus profond de ma conscience, partagée seulement avec l’ombre silencieuse de Soren.
Aux yeux de mes pairs, il ne semblait manquer qu’une étape pour que je sois considéré comme « complet »...
Une culpabilité, tel un bourgeon empoisonné, s’épanouit en moi à l’égard de cette journée. Depuis cet instant, je n’ai plus jamais commercialisé de « GHB ». Pourtant, une seule occurrence a suffi à graver cette action à jamais dans ma mémoire et dans celle de ma cible, comme une cicatrice indélébile, rappel constant de mes propres errements.
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