Chapitre 1 - Le mal à l’état brut
Prenez le temps de vous installer confortablement ☁️, préparez-vous une boisson réconfortante ☕et laissez-vous transporter. Pour une immersion totale, rendez-vous sur notre chaine Youtube et lancez les bandes-son originales, spécialement conçu pour accompagner votre lecture.
Vous êtes prêt(e) ? Plongez dans les premières pages du Journal d’une Ombre, et laissez l’univers vous submerger. ✨
Bonne lecture, et n’hésitez pas à partager vos impressions ! 👇🏻
Chapitre 1
Le mal à l’état brut
À l’aube de mes 19 ans, la vie était un vaste territoire à explorer, mais les ombres de mon passé semblaient déjà s’étendre loin derrière moi. C’était une époque où l’insouciance de l’adolescence s’estompait progressivement, laissant place à une série de choix et de défis qui allaient sculpter l’homme que je deviendrais.
Je me souviens de cette période comme d’un carrefour, où les chemins de l’innocence et de la réalité se croisaient. L’excitation de la liberté nouvelle s’entremêlait avec les premières responsabilités sérieuses. Les rires de l’adolescence étaient encore résonnants, mais le murmure des responsabilités adultes devenait de plus en plus audible.
À cet âge, mes rêves étaient grands, mes espoirs, immenses. La vie était une toile blanche sur laquelle je m’apprêtais à peindre mes ambitions. Cependant, le destin, souvent capricieux, avait déjà tracé des lignes invisibles dans le tissu de ma réalité.
Les premières cicatrices de l’existence étaient déjà présentes, bien que je ne les comprenne pas complètement à l’époque. Des épreuves qui allaient devenir des enseignements, des blessures qui cicatriseraient lentement avec le temps.
Ce fut également le début de mes explorations dans le labyrinthe complexe des relations humaines. Les amitiés devenaient plus profondes, les amours plus complexes. Des déceptions inattendues et des triomphes éphémères marquaient le rythme de cette danse passionnée avec le monde.
J’étais à la croisée des chemins, et chaque choix semblait chargé de conséquences. Ce fut une période où les bases de ma personnalité se solidifièrent, et les graines de mes futurs défis furent semées. C’est dans ce creuset de l’âge jeune adulte que je commencerais à comprendre que le passé, loin d’être une entité statique, était un compagnon dynamique et complexe, influençant le présent et jetant une ombre sur l’avenir.
Cette nuit-là, la pluie tombait dru, une averse battante qui résonnait dans l’habitacle de la voiture où je me trouvais avec « mes hommes ». Le moteur éteint, un silence relatif enveloppait nos silhouettes, bien que les discussions enivrées de mes compagnons persistassent sous l’influence de l’alcool et de la drogue. Animé d’une euphorie inconsciente face à ce qui m’attendait, je ressentais néanmoins une légère excitation quant à la mission qui m’était confiée.
Un appel téléphonique vers 23 heures m’avait extrait de ma mission en cours, sans détail superflu. Mon interlocuteur m’avait informé que j’étais la seule personne capable de mener à bien cette tâche dans le secteur, sans laisser place à des questions. Mon trait de caractère, dénué de jugement, était apprécié. Aucune empathie n’avait teinté ma voix lorsque j’avais demandé : « Que dois-je faire ? » Mon silence habituel était ma force, une écoute attentive qui alimentait mon savoir, me permettant de planifier méthodiquement.
D’ordinaire évoluant dans des secteurs plus policés, cette mission m’avait conduit dans les bas quartiers de Paris, une zone de non-droit à cette heure-ci. « Les fournisseurs » étaient tolérés, mais je n’étais pas habitué à traiter avec la racaille des cités. Les bas-fonds de la cité n’étaient pas mon terrain habituel ; j’évoluais dans des sphères plus raffinées, avec des clients plus importants.
Mon téléphone interrompit la quiétude que j’essayais de maintenir au volant de notre voiture. Contrairement à l’image que je projetais en portant un costume valant plus de mille euros, nous roulions ce soir-là dans un Renault Scenic. Bien éloignée de la vision du mafieux au volant d’un bolide allemand. C’est là que débute ma quête de discrétion, excluant toute possibilité de me faire remarquer au volant d’une voiture de luxe, une tendance que beaucoup de mes collègues adoptaient, se retrouvant ainsi derrière les barreaux.
La pluie cinglante battait les vitres, créant une symphonie sombre qui semblait accompagner nos pensées obscures. Les ruelles étroites étaient presque désertes, à l’exception de quelques silhouettes éphémères qui se dissimulaient dans l’obscurité. La mission se profilait comme une ombre furtive, et la tension électrique dans l’air annonçait un dénouement incertain. J’ajustai mon costume, symbole de mon appartenance à un monde bien différent de celui que je m’apprêtais à infiltrer.
Le poids des choix passés et la responsabilité de ma réputation m’assaillirent tandis que je m’immergeais dans l’atmosphère oppressante de cette nuit pluvieuse. Le mal était mon habit, et cette nuit, il devenait à nouveau une seconde peau. Mes hommes parlaient entre eux, mais mes pensées étaient un murmure constant, une série de décisions qui m’avaient conduit jusqu’ici. La pluie continuait de choir, comme si le ciel lui-même refusait de témoigner de ce qui allait se dérouler.
Je décrochai mon téléphone pour répondre. « Mes hommes » savaient quand se taire, et à cet instant, je n’étais pas un ami, mais bel et bien leur patron. Je dirigeais des jeunes de 20 à 25 ans, certes plus âgés que moi à l’époque, mais ils étaient tenus de répondre à chacun de mes ordres. Ils me considéraient comme un leader, un modèle à suivre. Je les choisissais avec soin. Ils devaient être capables d’arborer le costume, de s’exprimer avec finesse et intelligence. Bien que paraissant souvent plus matures qu’ils ne l’étaient à première vue, ils demeuraient fondamentalement des individus qui ne savaient pas vraiment dans quoi ils s’engageaient. Ils pensaient que cette vie leur offrirait une existence hors du commun, à la manière d’un film de gangster. Ils étaient loin de réaliser que ma mission à leur égard était de les briser et de les abandonner comme de vieux mouchoirs une fois leur utilité révolue.
De nouveau, j’écoute la voix à travers le téléphone, et finis par raccrocher au bout de cinq minutes. C’est alors qu’une silhouette court vers moi sous cette pluie battante. J’ouvre ma fenêtre et me retrouve face à un jeune homme paniqué qui m’explique que je dois le suivre. Nous sortons tous de la voiture. Je tente de calmer le jeune homme avec mon calme apparent et mon air supérieur, une attitude que je maîtrise bien. Trop anxieux, il ne perçoit pas mon exaspération et ne comprend donc pas quand je lui ordonne sèchement de se taire. « Mes hommes », conscients de ma personnalité, prennent en charge le jeune homme pour lui expliquer « mes règles » : « La fermer avec moi ». Trop orgueilleux et stupide, le jeune homme commence à m’insulter. Non habitué à être ainsi recadré, un autre aurait peut-être pardonné son manque d’intelligence et serait passé à autre chose, mais pas moi. Dans ces moments-là, je dois être efficace ; il doit m’indiquer où aller pour accomplir la tâche qui m’incombe, et il semble en être incapable.
Partagé entre l’excitation pulsante de l’instant vécu et un orgueil indomptable, je me trouve dans l’incapacité de réfréner mes impulsions. Une nécessité d’action immédiate, une réponse irrepressible, motive mes ordres à mes hommes pour maîtriser la situation. L’urgence dicte le tempo, la nécessité de résultats immédiats guide mes gestes. En déployant une violence calculée, mon subordonné, Alexandre, assène un coup déterminant à l’abdomen de l’individu, tandis que je dégaine un couteau de ma veste pour infliger une blessure cinglante à sa main. Je sens la lame s’enfoncer dans sa chair, et pour un instant, la pulsation de son sang me renvoie à la fragilité de l’existence. Mais cette pensée est vite chassée, remplacée par le besoin viscéral de contrôler la situation.
L’atmosphère s’épaissit avec la pluie mêlée au sang et aux pleurs, créant un tableau frappant. Mon impulsion à agir rapidement, presque instinctive, semble être dictée par une quête de réponse, une recherche de validation immédiate. Chaque geste brutal est minutieusement exécuté dans l’optique d’efficacité, comme si la rapidité des actions était cruciale dans la réalisation de mes objectifs.
Lorsque l’orage gronde et que la pluie tombe en cascade, la scène devient presque cinématographique, soulignant l’intensité du moment. Après l’apogée de l’action, le calme relatif qui s’ensuit semble être une pause nécessaire pour reprendre mon souffle. L’efficacité et la rapidité d’exécution restent au cœur de ma stratégie, tandis que la souffrance de l’homme, à présent docile, semble être la confirmation que la première étape de mon plan est sous contrôle
Je vais donc voir le jeune homme assis sur le coffre de la voiture. Je demande à Alexandre si une artère est touchée. Il me répond alors : « Non… Je ne pense pas. » En temps normal, je prends mon temps avant d’enfoncer ma lame, mais là, je n’avais pas pris cette précaution. La pluie bat son plein et nous ne sommes pas à l’abri. J’avais agi exceptionnellement avec hâte. Je regarde le jeune homme et lui demande s’il a une sécurité sociale, ce qu’il me confirme. Alexandre prend alors son téléphone directement pour appeler un taxi, sans donner de raison précise. Il me connaissait, comprenait le sens de mes questions et anticipait mes intentions. Le jeune homme, la tête baissée, se mit à nous montrer le chemin. La scène dura plusieurs longues minutes. Nous traversions enfin les quartiers abandonnés de cette cité. Je distinguai alors le hall d’entrée d’un bâtiment où la lumière peinait à fonctionner. La vétusté des lieux me choquait à cet instant. Les boîtes aux lettres étaient éventrées, le sol souillé de boue alors que tout était goudronné. Une pile de poubelles ornait une partie de l’escalier. Une femme d’un certain âge interrogea le jeune homme sur ce qui était arrivé à sa main. Celui-ci ne répondit pas et tenta de dissimuler ses pleurs. C’est alors, sous la lumière du hall, que je distinguai que le jeune homme n’était même pas encore majeur ; j’estimais son âge à 14-15 ans.
Nous montâmes donc les escaliers étroits de ce bâtiment insalubre. Il était alors passé trois heures et le bâtiment semblait en éveil. Je n’aimais pas être observé par tous ces gens. La musique de certains appartements résonnait excessivement fort. Les murs, probablement trop fins, laissaient entendre clairement les paroles. Des regards marqués s’imprimaient dans mon esprit. Cette vieille dame, à moitié cachée derrière sa porte entrebâillée pour voir sans être vue, me lança un regard qui me glaça le sang. À ce moment-là, je me dis qu’elle avait vu le diable, sans encore prendre conscience que l’immeuble entier était au courant de ce qui s’était passé.
Nous montâmes encore et toujours les marches, mon souffle commençant à me manquer ainsi qu’à « mes hommes », tant la montée devenait longue. Nous arrivâmes enfin dans un couloir, le jeune homme nous informa alors qu’il n’y avait plus de courant. Nous allumâmes alors la lampe torche de nos téléphones. La lumière émanant des appartements, portes ouvertes, nous offrit une meilleure visibilité. On discernait un attroupement devant une porte à moitié close. Des gens poussaient des cris étouffés. Une jeune femme passa à côté de moi en répétant « mon dieu, mon dieu, mon dieu… ». L’atmosphère au sein de mon groupe se transforma peu à peu. Le sentiment de stress s’installa, que je ne laissai pas paraître. Cependant, les questions fusaient dans ma tête. Je me préparai mentalement à voir quelque chose que je n’avais pas encore vu et à agir comme si tout ceci n’était qu’une routine pour moi.
Un homme d’une trentaine d’années, très musclé, se présenta devant moi. Par son comportement, il devint rapidement évident que c’était le frère du jeune homme mutilé à la main. Alexandre s’avança vers lui et, d’un ton rassurant, lui dit : « Pas de questions, un taxi arrive pour l’amener à l’hôpital. Va avec lui. » Je perçus un visage empreint de haine à mon égard, mais je fis face à ce défi sans broncher. Il passa à côté de moi tout en soutenant mon regard. Mes hommes l’entourèrent alors, instaurant une nouvelle tension dans cet espace mal éclairé. Des voix diverses se firent entendre prononçant le nom de cet homme. Elle lui demandait de ne pas faire de bêtise, pour romancer le terme exact. Alexandre tenta de le calmer, mais je constatai clairement que cet individu désirait en découdre avec moi.
Je ne savais pas comment il avait découvert que j’étais responsable de la blessure de son petit frère. Il est toujours étonnant d’observer l’évolution de nos sens dans de telles situations. Je demeurai confronté à son regard dans la pénombre et lui adressai d’une voix calme, voire apaisante : « J’espère qu’il n’est pas droitier, car s’il ne se rend pas à l’hôpital, il risque de perdre la mobilité de sa main en raison de la blessure ouverte. » Il semblait désemparé, incapable de saisir notre rôle et notre présence dans cet environnement. Il ne pouvait pas comprendre, et pourtant cela le fascinait autant que cela le terrifiait. Il est parti avec son frère en direction des escaliers dans le calme. Reprenant ma route, je me dirigeai vers le centre d’intérêt général sans me retourner.
D’un pas léger, j’écarte la foule devant l’appartement et prends une dernière inspiration avant de pénétrer à l’intérieur. Pour la première fois de ma vie, je suis confronté au mal à l’état brut : la mort. Bien que je sache à quoi m’attendre, il y a une différence entre savoir et voir de ses propres yeux. Un voile de fatigue s’abat sur mes pensées, brouillant la frontière entre ma froide efficacité et une humanité que je refuse de reconnaître. Le grincement de mes chaussures sur le sol en vinyle crasseux résonne encore dans mes oreilles. J’entoure alors le sujet de ma mission, et le stress me submerge à nouveau. Mon cerveau s’emballe lorsque je réalise que l’immeuble tout entier est au courant de la situation. La peur m’envahit à l’idée que la police puisse débarquer à tout moment. Je donne l’ordre à « mes hommes » de ne rien toucher et de ne pas marcher dans le sang, les voyant horrifiés par la scène. Alexandre s’éclipse rapidement pour retourner dans le couloir.
Devant moi gît un homme atrocement défiguré, victime d’une violente agression mortelle. Son crâne est fracturé, le sang obscurcit la couleur de ses cheveux, et sa tête est déformée. L’image de l’une de ses mains figées par la brutalité de l’attaque me hante encore, tandis que son tee-shirt est souillé de sang. C’est à cet instant que je réalise la sauvagerie de l’agression, dont l’unique dessein était de le tuer.
Chaque inspiration devient un défi, laissant dans l’air une tension palpable. Je contemple la scène avec une horreur indicible, prenant conscience d’être le spectateur involontaire de mon premier homicide. Initialement sollicité pour orchestrer l’exfiltration de la victime, il était plausible qu’il ne soit déjà plus en vie. Les autorités ne pouvaient être alertées par les voisins, car l’immeuble était le théâtre de violences perpétrées par d’autres résidents. Les répercussions auraient incontestablement été désastreuses.
Le récit qui m’avait été soumis dépeignait un étudiant perturbé par une rupture, engagé dans un différend avec une prostituée résidant dans l’immeuble. Les événements avaient pris une tournure tragique, alimentée par des tensions liées à des aspects intimes. L’agression contre la femme avait déclenché l’intervention de protecteurs dépêchés à sa rescousse. Enfermé dans cet appartement, le jeune homme avait alors sollicité son père, un individu actif dans des sphères « privées ». Les rumeurs évoquaient même la prémonition du père quant à la mort imminente de son fils, une conscience aiguë de la réalité brutale des quartiers et de la résolution de tels conflits.
Je saisis mon téléphone pour consulter mon contact, cherchant à élaborer un plan. La question qui me fut posée était directe : « Q’en pensez-vous ? » Une éclatante irritation m’envahit, mais je la dissimule immédiatement à mon interlocuteur. La discussion évolue vers la vengeance, l’extraction du corps et le respect envers le cadavre. Le mot « respect » résonne en moi de manière insistante. Je tente de détourner la conversation du sujet vengeur autant que possible. Lorsque les mots « une vie pour une vie » sont prononcés, je réplique, me rappelant que nous ne sommes pas en train de vivre une fiction, que de telles paroles sont lourdes même pour moi.
À ce moment, une pensée pour la personne que j’aime, qui m’attend chez nous tant que je ne suis pas rentré, traverse mon esprit. J’aurais voulu la serrer dans mes bras, qu’elle m’apaise, qu’elle me parle. Son simple contact aurait ravivé une force qui me quittait peu à peu. La fatigue, cumulée à l’heure tardive, s’installe, et je sais que la clarté de l’esprit émerge seulement dans le repos.
Les minutes s’écoulent, le téléphone persiste, les échanges perdurent. J’ai chargé l’un de mes acolytes de surveiller toute arrivée de la police, même si les règles des cités proscrivent un tel appel aux autorités. Les regards des observateurs sur le palier de l’appartement nous scrutent. Sans un mot, ils attendent de moi une solution, partageant la même peur qui m’envahit. Nous ne sommes pas dans un film ; déplacer un corps n’est pas une tâche aisée. Comment se venger ? Contre qui ? Mon appel à mon meilleur ami, celui qui m’a initié à ce monde, reste sans réponse. Je me retrouve seul face à cette situation.
Je décide d’adopter un plan simple en deux étapes. La première consiste à discerner l’urgence du non-urgent. L’évacuation du corps s’impose en urgence, la vengeance nécessite réflexion. La scène était trop éprouvante pour Alexandre, mais mes deux autres compagnons semblaient mieux résister. Les escaliers les attendaient, eux qui n’osaient pas suggérer la moindre option. Ils paraissent aussi démunis que moi. Je leur ordonne de frapper à chaque porte pour trouver un tapis d’au moins deux mètres. Deux individus se présentent avec le précieux tapis, comprenant son dessein. Leur volonté de nous assister dans le déplacement du corps me surprend. Je ne prends pas part à l’opération d’emballage du cadavre, mais à la dernière minute, je leur demande de rassembler tous les effets personnels, téléphone portable, clés, préservatifs, et autres. Un soulagement me submerge en apprenant qu’il n’avait pas de clé de voiture ; il avait utilisé les transports en commun, une information confirmée par SMS. Le souvenir du sang sur le sol me hante. Je sors alors mon couteau pour déchirer le vinyle, retirant les parties souillées. Une dame s’approche avec une bassine et me demande de partir. Nous ne sommes plus les bienvenus ici. J’appelle Alexandre pour qu’il approche la voiture. Ils descendent laborieusement le corps à quatre, à travers les escaliers étroits. Chaque pas que nous faisions dans l’escalier semblait alourdir l’atmosphère, le corps inerte pesait de plus en plus dans leurs bras, symbolisant le fardeau qui pesait déjà sur leurs épaules. Les regards des gens persistants. Une dame nous suit pour nettoyer les taches de sang au sol.
Enfin dans le hall d’entrée, une dizaine de personnes nous observent alors que nous chargions le corps. Il pleuvait légèrement à présent. Je sors deux billets de 100 euros, m’adressant calmement à la foule présente : « 200 euros pour un travail ce soir, j’ai besoin de quelqu’un avec un scooter. » mettant en avant les billets. Un jeune homme de la banlieue se précipite vers moi. Je lui donne mon numéro de téléphone et lui communique une adresse où il doit se rendre. Je lui recommande de suivre les axes principaux réservés aux voitures et de ne pas prendre de raccourcis. En cas de présence policière sur la route, il doit m’avertir. Il s’exécute rapidement, partant chercher son scooter.
Je n’ai plus conscience de l’heure à laquelle nous avons quitté les lieux, mais la nuit persiste dans son obscurité. Je suis au volant de la voiture avec un cadavre dans le coffre. Vivre ce moment est une expérience étrange. Le silence règne dans la voiture, mon regard affiche une détermination tranquille. À cette heure, même les rues de Paris sont désertes. Malgré ma prévoyance avec le jeune homme en éclaireur en scooter, nous croisons une patrouille de police qui ne nous arrête pas. J’étouffe, tout comme mes compères, j’imagine. Mon téléphone vibre incessamment, mais je n’y réponds plus, craignant d’être confronté à des discussions vengeresses. Après plusieurs minutes de route, nous distinguons enfin notre destination.
Nous nous retrouvons dans les beaux quartiers de Paris. Des hommes nous attendent, nous guidant vers le parking souterrain où nous descendons rapidement la voiture. Dans un silence de mort, nous remontons le corps jusqu’au premier étage, le déposant à l’endroit indiqué. Un homme cagoulé s’approche de moi. Reconnaissant sa voix, car je l’avais eu au téléphone tout au long de la soirée, il me demande si j’ai « tué » celui qui avait commis cet acte. Un nouveau mot qui résonne dans ma tête. Ôter la vie des gens n’est pas une action anodine. Entre les mots et le geste, existe tout un univers. Je réponds que je leur fournirai les noms dont ils ont besoin, mais que j’ai besoin de temps. À ce moment, je lui informe que le numéro qu’il a utilisé ne sera plus valide dès demain, et que c’est moi qui le recontacterai pour lui fournir les réponses dont il a besoin. Je lui demande également la permission de conserver le téléphone de la victime. Demande qu’il m’accorde.
Je suis rentré dans mon appartement, les premiers rayons du soleil éclairaient les placards de la cuisine. Mes mains tremblaient légèrement, et enfin, je la vis, celle que j’aimais, recroquevillée sur un coussin du canapé. Elle m’avait attendue toute la nuit, laissant plusieurs messages, à la fois écrits et oraux. C’était la première fois qu’elle passait une nuit seule à cette époque. D’autres nuits similaires suivirent, mais elle comprit que cette nuit représentait une nouvelle étape dans ma vie, une plongée encore plus profonde dans l’obscurité.
À ce moment-là, elle ne mesurait pas à quel point cela n’était qu’un grain de sable dans ce qui allait façonner mon avenir. Les images de ce corps défiguré sans vie continuaient de hanter mes pensées, et la réalité de la prise de risque insondable ajoutait une couche supplémentaire de poids sur mes épaules. J’étais bien loin d’imaginer que c’était le premier corps d’une longue liste.
Lorsqu’elle me regarda, les yeux remplis d’inquiétude et de compréhension, je vis dans son regard la volonté de m’accepter malgré les ténèbres qui m’enveloppaient. Elle ne savait pas tout, et je me taisais sur bien des aspects, mais elle percevait l’ombre grandissante en moi.
M’asseyant à un mètre d’elle, je croisai son regard, hésitant à affronter ses yeux. Les traces de larmes sur ses joues roses indiquaient qu’elle avait pleuré toute la nuit. L’attente avait dû être difficile, son esprit travaillant plus que nécessaire. Cependant, elle ne pouvait imaginer les épreuves de ma nuit. La tristesse m’envahit, l’émotion me submergea, et des larmes perlaient au coin de mes yeux, cherchant à s’échapper. Ma gorge se noua, mes mains tremblaient toujours.
Se relevant pour me retirer délicatement ma veste, elle rencontra la sueur et la tension qui m’avaient envahi. Mon corps était comme paralysé. Elle eut du mal à ôter ma veste, tant j’étais raide sur mon assise. Pendant ce processus, elle toucha mon couteau dans ma veste, le jetant loin dans le couloir. Mon cœur battait à une vitesse trop importante, mon souffle était rapide et silencieux. Des nœuds se formaient dans mon corps à divers endroits.
Se plaçant derrière moi, elle approcha son corps du mien. Sa main glissa le long de mon torse pour couvrir la partie de mon cœur. Elle me serra dans ses bras et murmura à ma nuque qu’elle m’aimait. Le temps semblait suspendu. Je fermai les poings pour contrôler mes tremblements. Mes yeux ne s’ouvraient plus. Je voulais figer ce moment, le vivre éternellement, où il n’y avait plus qu’elle et moi, loin de cette vision d’horreur.
Quand le soleil finit par tourner vers nous, je tentai de prononcer mes premiers mots. Ils ne voulaient pas sortir, mes yeux restaient clos. Se plaçant devant moi, elle me demanda de la regarder. Quand j’ouvris mes yeux, je crus voir un ange à travers les rayons du soleil. Ses yeux bleus étaient plus clairs grâce à la lumière. Sans maquillage, ses cheveux en désordre, elle portait des lunettes au lieu de ses lentilles, mais elle n’avait jamais été aussi belle à mes yeux.
Mes yeux embués, la gorge toujours nouée. Si j’avais eu plus de force, j’aurais voulu hurler mon amour. C’est à ce moment-là qu’elle me dit que rien ne nous séparera jamais, quoi que je fasse, quoi que je combatte. C’est là que, je crois, j’ai trouvé ma définition de l’amour véritable. Car elle a toujours tenu parole. Ce matin-là, elle m’aida à me coucher, restant à mes côtés jusqu’à ce que je m’endorme. Chaque battement de son cœur était une promesse, chaque murmure était un serment d’éternité. C’était dans ces moments fragiles que l’amour prenait une forme tangible, résistant aux épreuves et aux ténèbres, illuminant nos vies d’une lueur qui ne s’éteindrait jamais.
***
Le lendemain matin, la destruction brutale du téléphone pendant l’agression n’a été pour moi qu’un léger contretemps, une complication mineure dans l’exécution de mes plans. Je me suis attelé à tenir la promesse que j’avais faite. La prostituée allait devenir un maillon essentiel dans cette chaîne sombre que j’assemblais. Grâce à son numéro de téléphone, j’ai pu remonter le fil de sa vie, dénouer les secrets qu’elle avait tenté de dissimuler.
Il était clair que l’homme qui avait agressé le jeune homme était bien plus qu’un simple inconnu. Les pièces du puzzle se sont emboîtées avec précision, révélant qu’il était le frère de la prostituée, et plus encore, le mac de sa sœur. En moins de trois jours, j’ai rassemblé toutes les informations nécessaires, chaque détail s’emboîtant comme les pièces d’une machination complexe.
Quatre mois plus tard, la femme est décédée, emportée par une overdose. Une fin tragique, d’autant plus poignante qu’elle n’était pas une toxicomane. Les substances illicites retrouvées sur elle étaient, financièrement parlant, hors de portée pour quelqu’un de sa condition. La spirale infernale de son existence l’avait conduite à une issue funeste, orchestrée dans l’ombre.
En ce qui concerne l’homme, il semblait avoir disparu, se fondant dans l’obscurité du monde. Les dernières informations que je détenais indiquaient qu’il avait consulté le site d’une compagnie low-cost, laissant présager un départ imminent pour le Sénégal. D’après les rumeurs, il n’aurait en réalité jamais pris l’avion.
Alexandre, resté à mes côtés, continuait à œuvrer dans l’ombre, une pièce essentielle de cette machinerie implacable que nous avions créée.
Quant aux deux autres de mes « hommes », ils semblaient s’être évanouis dans l’anonymat, fuyant le destin que je leur avais imposé. Plus tard, j’ai appris que l’un d’eux avait embrassé une nouvelle vie en devenant aide-soignant en Normandie.
Malgré des appels à la gendarmerie, l’affaire n’a pas été prise au sérieux, faute de corps. Les dépositions se sont multipliées, mais l’identité de l’homme décédé restait inconnue, plongeant l’enquête dans l’impasse. Aucune confirmation concrète, aucun indice sur les quatre hommes mystérieux qui avaient marqué cette soirée.
De manière étrange, à ce jour, la mort du jeune homme demeure une énigme, un sombre secret que je porte en moi. Cette histoire a contribué à forger ma réputation, façonnant l’image d’un homme froid, prêt à se salir les mains sans la moindre hésitation, laissant derrière lui une aura d’ombre et de mystère.
˜˜˜